Contrairement à ce que le commun des mortels avait pu s’imaginer au moment de leur signature, par les représentants des parties au conflit, mais également par ceux de l’Allemagne et de la France, ces dernières en tant qu’intermédiaires et garants dans les négociations, les accords de Minsk de 2015 n’avaient pas pour but de mettre fin à la guerre du Donbass, mais de faire gagner du temps à l’Ukraine. En effet, celle-ci n’était pas en mesure à ce moment de tenir tête à la Russie. Si quelqu’un s’était permis de dire quelque chose de ce genre, il aurait été tout de suite traité d’adepte de complotisme, et probablement forcé de se taire. Mais en l’espèce, il ne s’agit pas tant d’une opinion émise par quelqu’un n’ayant pris aucune part à cet accord, que d’une sorte d’aveu, ou de confession, son auteur ayant été pour quelque chose dans son élaboration. Ces paroles ont été tenues par Angela Merkel, dans une interview toute récente accordée au journal allemand Die Zeit, une personnalité politique censée avoir pris sa retraite, un état impliquant une obligation de réserve, à observer d’autant plus que le sujet est brûlant.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on peut douter qu’il s’agisse dans ce cas précis d’un aveu, d’une reconnaissance tardive de quelque vérité mise sous le boisseau au moment des faits, et non pas plutôt d’une justification ayant pour objectif de réfuter une accusation précise, inspirée quant à elle de la situation actuelle en Europe. Se voyant critiquée pour sa gestion du dossier ukrainien, et d’abord par les Américains, elle réagirait en niant que son intention fût alors d’imposer à l’Ukraine un accord contraire à ses intérêts, mais de lui faire gagner du temps afin qu’elle puisse se renforcer militairement et reprendre l’initiative. Il fallait geler le conflit, explique-t-elle, la bataille de Debaltseve de janvier 2015 ayant apporté la preuve de l’impréparation des Ukrainiens. N’était cet accord, les Russes auraient attaqué, et alors la guerre aurait été toute différente de celle qu’on voit maintenant se développer. L’Ukraine d’aujourd’hui n’est pas celle de 2014/2015. Donc cet accord était bien ce qu’il fallait faire. C’est lui faire un mauvais procès que de lui reprocher d’avoir cautionné un accord inégal, imposé par le plus fort au plus faible. D’ailleurs à cette époque personne ne s’y trompait ; il était clair pour tout le monde que le conflit était gelé non résolu par le Protocole de Minsk. Que tôt ou tard les hostilités allaient reprendre, et qu’il fallait se placer dans cette perspective. Pouvait-il en être autrement alors que la Russie n’était toujours pas pacifiée ? Alors que la guerre froide n’était pas finie par conséquent ? Evidemment non, laisse-t-elle à chacun le loisir de conclure pour son propre compte. Il convient de s’arrêter à cette pacification non encore faite de la Russie, pierre de touche selon Merkel dans la question plus générale de savoir si la guerre froide appartient ou non au passé. Et d’abord qu’est-ce ça peut vouloir dire pacifier la Russie, sinon la démanteler, la dépecer, soit après l’avoir vaincue militairement, soit à la suite d’une implosion, d’une violente crise interne ? Or il n’y a pas que cela d’édifiant pour les premiers concernés, les Russes, dans ce que dit l’ancienne chancelière allemande. Sans cet accord qu’elle était parvenue à leur faire signer, ils auraient déjà gagné la guerre, toute l’Ukraine serait aujourd’hui sous leur contrôle, les Européens et l’Otan étant à l’époque incapables de soutenir l’Ukraine aussi massivement qu’ils le font aujourd’hui.