Deux jours après le gel des activités du Parlement, la levée de l’immunité des députés, et le renvoi de Hichem Mechichi et de son gouvernement par le Président Kaïs Saïed, la paix civile règne en Tunisie, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle soit sérieusement ébréchée. Si l’on excepte les regroupements qui s’étaient formés dès les premières heures de lundi devant le Parlement, et qui avaient donné lieu à des échauffourées entre partisans et opposants du Président Saïed, toutefois à aucun moment à une débauche de violence, les forces de l’ordre étant d’ailleurs déployées en force pour le cas échéant s’interposer, nul désordre n’a été rapporté nulle part dans le pays. Ennahdha avait bien appelé au début les Tunisiens à descendre dans les rues défendre «la démocratie et la révolution», faire échec au «coup d’Etat», mais voyant qu’elle n’était pas écoutée, pas même par ses militants, en tout pas dans les proportions qu’elle aurait voulu, elle a terminé la journée sur des messages d’une tonalité nettement moins agressive. Ses dirigeants et députés, emmenés par Rached Ghannouchi, ont même fini par lever l’espèce de siège qu’ils avaient établi autour du Parlement, après avoir essayé vainement d’y entrer.
Plus tard dans la soirée, ce fut au tour de Mechichi de sortir du silence dans lequel il s’était refugié, démentant ce faisant les rumeurs comme quoi il était entré en résistance, et qu’il s’apprêtait de le faire savoir haut et fort, pour dire qu’il acceptait son sort. Parallèlement, un couvre-feu est décrété pour un mois, sans qu’on sache très bien s’il est motivé par des considérations sanitaires ou sécuritaires. Même interrogation pour ce qui est l’interdiction des rassemblements comptant plus de trois personnes. Sans doute est-il encore trop tôt pour affirmer de façon catégorique que les jeux sont faits, que le Président Saïed a d’ores et déjà gagné son pari. Même si au plan extérieur, non plus, les choses ne se passent pas trop mal pour lui. Aucune condamnation n’a fusé contre lui en effet, ni de la part des Européens ni des Américains, les seuls qui auraient pu s’inscrire en faux contre les mesures d’exception prises par lui et par là même lui compliquer la tâche. La Turquie a tellement pesé les termes de sa condamnation attendue qu’on se demande si c’en est encore une. Il n’en reste pas moins que la phase névralgique de la crise politique, amorcée avec ces mesures, est loin d’être terminée. Saïed va devoir nommer un nouveau chef de gouvernement, qui à son tour aura à former un nouvel exécutif. Si au bout d’un mois, la suspension du Parlement est levée, il faudra que ce gouvernement aille demander aux députés restaurés leur confiance. Comme il n’est même pas concevable qu’il l’obtienne, il n’y a pas grand risque à parier gros que ce n’est pas ainsi que les choses vont se passer. Ce ne serait en effet dans ce scénario qu’un retour à la case départ au bout d’une parenthèse d’un mois où le chef de l’Etat se sera trouvé seul à la barre, avec tous les pouvoirs dans ses mains. Pour lui, le pire serait sûr dans cette hypothèse. Cela voudrait dire en effet que tout ce qu’il a fait, il l’a fait vainement, en définitive pour se rendre compte qu’il est impuissant à changer quoi que ce soit à ce même ordre contre lequel il s’est insurgé en vue de le réformer. Bien malin celui qui est à même de nous dire ce qui exactement va se passer. Mais on peut être sûr qu’il n’y aura pas de retour en arrière.