Le 31e Sommet de la Ligue arabe, qui s’ouvre demain à Alger, un 1er novembre, ce qui témoigne au plus haut point de l’attachement de ses hôtes à sa réussite, se tient dans un contexte international particulier, exceptionnel même, celui d’une guerre en Europe dont on ne sait à ce jour si elle va ou non s’étendre hors du pays où depuis ses débuts elle est confinée : l’Ukraine. Cette guerre n’est pas la première du genre, ayant été précédée par la guerre en Syrie, dans le monde arabe par conséquent. En Ukraine, en effet, comme en Syrie, ce sont les mêmes puissances qui s’affrontent, d’un côté l’Otan et ses alliés, de l’autre la Russie et les siens, les premiers à l’offensive, les seconds sur la défensive. La guerre en Syrie a accentué la division du monde arabe, selon une ligne de clivage il est vrai préexistante, toujours vivace d’ailleurs, mettant aux prises sur des théâtres régionaux les alliés de l’Arabie saoudite et ceux de l’Iran. La guerre actuelle la relègue au second, ce qui a pour premier effet de détendre l’atmosphère au Moyen-Orient et dans le Golfe, et même de rapprocher des Etats qui antérieurement se vouaient aux gémonies.
Les normalisations récentes avec l’Etat d’Israël ne se seraient peut-être pas produites
n’était cette opposition sunnites-chiites, qui a pris le pas sur celle qui traditionnellement structurait la région, du temps où la question palestinienne unifiait tout le monde arabe contre l’Etat d’apartheid appelé Israël. Aujourd’hui, pour nombre de pays arabes, l’ennemi principal, ce n’est plus ce dernier, mais l’Iran et ses alliés. Cette opposition est durable. Elle existait avant la guerre en Ukraine, elle lui survivrait peut-être. Mais sans elle, il n’y aurait pas eu de guerre en Syrie. Alger n’aurait pas mieux demandé que de voir la Syrie réoccuper son siège au sein de la Ligue, qu’elle a quitté forcée et contrainte voilà plus d’une décennie. Cela n’a pas été possible, le Qatar s’y étant opposé, en même temps que d’autres peut-être, qui en cela auraient fait preuve de plus de discrétion. On aurait pu penser que la guerre en Ukraine allait reconduire la même division apparue à l’occasion de la guerre en Syrie, et même l’exacerber. Il n’en a rien été. Pour la première fois depuis des décennies, les pays arabes, sans s’être pour cela concertés, se sont retrouvés sur la même position de neutralité positive sur une question internationale capitale, à même d’accoucher d’un nouvel ordre mondial. Les pays qui s’étaient retrouvés dans le même camp que les Etats-Unis dans le conflit syrien, en accord en cela avec leur positionnement traditionnel, ont refusé de s’aligner aveuglément sur eux dans leur guerre par procuration contre la Russie. C’est évidemment sur cette affirmation d’indépendance qu’Alger fonde ses espoirs pour un monde arabe réunifié, revenu à ses fondamentaux, dont le sommet qui s’ouvre demain serait en quelque sorte l’acte de renaissance. Les Etats arabes ont dans le contexte actuel adopté une attitude équivalente à celle de leurs homologues africains et asiatiques, chose d’autant plus remarquable que cela s’est fait le plus spontanément du monde. Ils se sont révélés du même monde qu’eux, partisans d’une même vision du monde, ou plus exactement de son avenir, débarrassé de l’hégémonie d’une seule puissance. Ce n’est donc pas par hasard si Alger a voulu battre le fer pendant qu’il était chaud, ayant compris que le monde arabe est en train de vibrer à l’unisson de l’écrasante majorité de l’humanité.