Le plus étonnant au fond dans l’élection de Lula da Silva, dimanche dernier, à la présidence brésilienne, ce n’est pas qu’elle se soit produite, étant annoncée depuis des mois, mais qu’elle l’ait été aussi difficilement, grâce à un petit point d’avance sur son rival, le président sortant Jair Bolsonaro. Si bien que lorsque sa victoire a été déclarée officiellement, ses supporters, aussi bien brésiliens que non, le personnage jouissant en général d’une bonne réputation dans le reste du monde, ont poussé un grand soupir de soulagement, en butte au sentiment d’avoir échappé de peu à une défaite d’autant plus intolérable qu’elle n’aurait été conforme ni à la logique ni aux sondages. La rapidité avec laquelle les messages de félicitations des plus grands dirigeants de ce monde sont tombés participe de ce sentiment qu’une catastrophe menaçait, qui par chance a été évitée. Il y a là aussi comme une pression internationale exercée sur Bolsonaro pour qu’il se montre bon joueur et admette sa défaite, aussi pénible qu’elle puisse être pour lui et pour les millions de ses électeurs, dont un certain nombre s’agite déjà dans un sens tout opposé.
Avec un retard d’un point seulement sur Lula, et bien que les résultats soient officiels et définitifs, Bolsonaro serait presque en droit de les contester. Ce n’est pas en effet comme s’il avait été battu à plate couture. C’est ce qu’avait fait son ami Donald Trump, qui pourtant avait perdu dans la présidentielle américaine de 2020 de façon bien plus marquée. La pression exercée sur lui pour qu’il reconnaisse sa défaite, pour courte que celle-ci soit, vient aussi de l’intérieur du pays, et même du côté de ses meilleurs alliés, ceux-là même dont le soutien lui avait permis de frôler la réélection. Ses électeurs de base attendent de lui quant à eux un tout autre choix. Comme s’il était tiraillé d’un coté et de l’autre, et ne sachant à quoi se résoudre, lui se tait pour le moment, ce qui n’augure rien de bon. Son silence dure depuis plus de 48 heures. Qu’il se prolonge encore pendant deux autres journées, il n’aura plus qu’une seule signification, celle que presque tout le monde au Brésil et hors du Brésil, et en premier lieu sur le continent, est en train de redouter : le refus de la défaite, le deuxième dans les deux Amériques après celui de Trump. Il ne semble pas que ce soit là l’hypothèse la plus probable. D’autant qu’il peut à la fois contester la victoire de Lula et appeler ses supporters au calme. Ce qui reviendrait à faire mieux que Trump : contester les résultats sans envoyer personne à l’assaut du Congrès. C’est que de même qu’il existe un trumpisme, il existe déjà un bolsonarisme, comme en atteste le nombre des sénateurs élus lors de ces mêmes élections, plus grand que celui du Parti des travailleurs. Lula a été réélu mais on dirait au prix de la défaite de son Parti, à l’inverse de Bolsonaro qui a perdu le fauteuil de président mais dont le parti a beaucoup progressé dans les institutions, centrales et locales. Or pour lui comme pour Trump, ce qui compte une fois la défaite encaissée, c’est de faire en sorte que leur mouvement se maintienne, reste uni et actif. Le trumpisme n’existerait plus aujourd’hui si Trump avait accepté sa défaite.