Le jour même où une pluie de missiles russes se sont abattus sur plusieurs villes en Ukraine, le plus souvent d’ailleurs sur des installations ayant rapport à l’énergie, un seul missile, selon toute vraisemblance tiré quant à lui depuis l’Ukraine, est tombé en Pologne, à la frontière séparant les deux pays, où il a fait deux morts. Ce n’est pas de la centaine de missiles russes qu’il est maintenant question, mais de ce seul missile sorti du cadre dans lequel était confinée la guerre depuis son premier jour, dont il faut en urgence remonter la trajectoire jusqu’à sa source. Est-ce de l’Ukraine qu’il est parti, comme cela serait gênant pour ses amis ; ou de Russie, comme cela serait préférable ; serait-ce d’ailleurs, de Biélorussie par exemple, comme cela serait encore mieux au point de vue politique et même militaire ? Pour l’heure, les enquêtes sont en cours pour en déterminer le point de lancement, même si tout semble indiquer que celui-ci se situe en territoire ukrainien. En fait, les Américains le savent déjà, autrement leur Président, qui alors était à Bali, en train de participer au G20, n’aurait pas déclaré qu’il était improbable que ce missile ait été tiré de Russie, s’inscrivant en faux contre ce qu’en avait dit Volodymyr Zelensky, pour qui le coupable était tout trouvé, qui ne pouvait être que la Russie.
Jusqu’à ce mystérieux missile, lui au moins non imputable à la Russie, on se demandait quel tour allait prendre les «conseils» américains à l’usage des Ukrainiens, les engageant à répondre favorablement à l’offre de dialogue que les Russes ne cessent de faire, notamment depuis leur retrait de Kherson, cette opération pouvant être tenue elle-même pour un gage de bonne volonté. Cette question tout au moins pourrait bien ne plus se poser. Dans les heures qui viennent, l’Otan va en effet se réunir pour convenir de la suite à donner à l’incident. Faut-il recourir à l’article 5 de la Charte, ou s’en tenir à l’article 4, qui lui fait obligation de se concerter dans les moments de crise avant toute déclaration de guerre. On ne devrait pas tarder à savoir le résultat officiel de la concertation. Mais à voir l’ambiance générale, il semble clair que le monde n’est pas à la veille d’une troisième guerre mondiale. Ceux qui – prenons garde à n’accuser personne – ont tiré ce missile dans l’espoir de mettre l’Otan sur le pied de guerre pourraient bien se trouver bientôt en mauvaise posture. C’est-à-dire dans l’obligation d’entrer en négociation avec la Russie, sans plus lanterner. Le pire des scénarios pour Kiev, ce serait bien entendu d’être directement accusé d’avoir usé d’un subterfuge mortel pour entraîner la Pologne, et en même temps qu’elle toute l’Otan, dans la guerre que lui-même est en train de mener seul contre la Russie, et que de ce fait il est condamné à perdre. Si du moins ce missile
n’avait pas fait de victime ; il aurait été plus facile d’en accuser Moscou. Mais il a fait deux morts, auxquels il ne serait jamais fait justice si pour des raisons de haute politique on commençait par mentir sur l’identité de leur meurtrier. Le retrait de Kherson, effectué il y a quelques jours, a été qualifié de tournant dans le conflit. Ce missile sorti du cadre assigné à la guerre, tombé comme par hasard en Pologne, en est un lui aussi, mais d’une façon qui ne ressemble en rien au premier. Même si pour l’effet accélérateur il pourrait aisément soutenir la comparaison avec lui.