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samedi 20 avril 2024

Le dernier roman de Yasmina Khadra est disponible en librairie: «Les Vertueux», ou les petitesses humaines dans une épopée grandiose

Irrigué par un souffle épique dont la force ne faiblit à aucune des 540 pages, «Les vertueux» se veut, et il y réussit, le roman de Yasmina Khadra qui charrie le plus d’algérianité irradiant, à partir de ce socle, le plus d’universalité.

Par Nadjib Stambouli

L’éditeur Casbah éditions ne s’y est pas trompé en annonçant, en quatrième de couverture, la couleur d’un «roman majeur, la plus impressionnante des œuvres de Yasmina Khadra» et l’auteur n’a pas dirigé ses lecteurs sur une fausse piste induite par le seul désir de promotion, en déclarant, lors de son passage évènement à la Bibliothèque Nationale d’Alger, «vous serez scotchés…». La geste combative du peuple algérien, dans l’une des répétitions de la Grande libération anticoloniale de 62, qu’auront été les révoltes du Sud-Ouest des années 20, revisitées par l’aimant romanesque et sa charge fictive, est rendue à travers le trajet pour le moins tumultueux vécu, plutôt enduré, de Yacine Chéraga, dont les mésaventures commencent, sous le faux nom de Hamza Boussaid, à l’orée de la guerre 14-18. Gaid Brahim, un notable sans foi ni loi comme tous les féodaux de son espèce, soumis à la France et à leurs pulsions égoïstes, l’enverra combattre aux lieu et place de son fils, exempté pour raison de santé, en lui faisant miroiter oasis et merveilles, entre menaces et fausses promesses. Cette guerre en France métropolitaine, il en gardera, à la fois acquis et séquelles indélébiles, des souvenirs d’actes de bravoure et de sentiments de peur, des hauts faits d’armes et d’autres qui le sont moins, mais aussi un univers et des paysages autres, que même l’imaginaire le plus fertile n’aurait pu esquisser à partir de son douar d’origine, celui de la misère et de la désolation. Il en gardera surtout des leçons de vie, de connaissance de caractères, ceux des justes et des injustes, parmi lesquels des «indigènes »», les Sid, Zorg et autres compagnons d’infortune connus dans les tranchées sous les ordres de l’adjudant Gildas. Après tout ce qu’une guerre offre d’évènements avec leur lot d’avancées et de retraites, sur le front comme dans les sentiments, elle prend fin, et avec cette fin, celle des illusions. En guise de marques de reconnaissance, pour lui et sa famille, auxquelles le Caïd s’était engagé, Yacine Cheraga se retrouve trahi en se délestant de sa fausse identité de Hamza Boussaid, échappant même de peu à la mort sous la main de Babai, aussi cruel que son maître. Commence alors une nouvelle épopée, sur fonds de recherche de ses parents disparus, à Oran puis dans le Sud, dans laquelle le héros malgré lui engrange, tromperie après tromperie, les déceptions et les coups fourrés, qui comme toutes les trahisons qui se respectent, proviennent de ceux à qui on a accordé sa confiance. Au fil d’un enchevêtrement d’aventures qui se succèdent et par lesquelles Yasmina Khadra tient en haleine le lecteur, le personnage principal retrouvera ses anciens compagnons de guerre devenus frères d’armes, puisque cette fois, c’est de libération de la patrie qu’il s’agit, avec beaucoup de volonté et de rêves mais très peu d’expérience face à l’armée d’une grande puissance coloniale, aidée par ses suppôts locaux, les gros propriétaires fonciers. A Oran, à Bel Abbès, à Kenadsa, dans le sud marocain où il prendra épouse, dans les quartiers mal famés de la métropole comme sur la pierraille du désert des hamadas, «Les vertueux», qu’on aurait volontiers traduit par «Ledjouad» en clin d’œil à Alloula, est un concentré de portraits d’hommes et des femmes restitués dans ce qu’ils portent de nobles valeurs mais aussi de petitesses, de générosité et de cupidité, de courage et de lâcheté, bref d’humanité et de don de soi face à la soif d’intérêts et à la cruauté des hommes, nos semblables. Ni les grands espaces rendus dans leur élégance ainsi que dans leur froideur nocturne, ni les expériences faites de petits boulots et de grands espoirs, ni les changements de direction morale et hésitations des personnages, ni les terribles épreuves du bagne, ne feront abdiquer Yacine Chéraga dans sa quête de retrouver la chaleur familiale. Le roman est une savoureuse alternance, chaque page réservant sa cargaison de surprises, de moments forts qui par le biais de l’itinéraire d’un jeune Algérien aux alentours des années 20, exhale l’arc-en-ciel de tout un peuple qui apprend à combattre sans effacer les contradictions qui le traversent, qui le minent parfois et le grandissent en d’autres. L’auteur nous aura livré une épopée grandiose, un chant lyrique sous le sceau de la modernité, digne de la majestueuse et permanente lutte que livre le peuple algérien contre les envahisseurs et surtout contre lui-même. En d’autres termes, en y relevant la maîtrise d’écriture et le respect du lecteur qui lui valent le succès international, une œuvre digne de Yasmina Khadra. Tout au long de ce pavé qu’est «Les vertueux», qui s’avère beaucoup plus léger à sa lecture qu’à son poids, le lecteur retrouvera les ingrédients du style khadraoui, faits d’une écriture digeste saupoudrée d’élans poétiques, eux-mêmes nourris de métaphores qui fleurent bon le parfum du benjoin et la grâce du palmier.«Les Vertueux» de Yasmina Khadra, Casbah éditions, 541 pages, prix 1 500 DA.

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