En Algérie, le secteur de la Santé mentale ne cesse de flancher et de subir les affres des maux les plus affligeants. Que dire des conditions et des problèmes auxquels sont confrontés, chaque jour que Dieu fait, ceux qui exercent au sein de ces établissements hospitaliers, si ce n’est que c’est une dérive sans fin. Manque de personnel, de matériel, de médicaments… sans parler de la gestion pour le moins anarchique des services psychiatriques. C’est le constat dressé par Mme Ghania Gasti, Professeur, cheffe de service B à l’hôpital Frantz-Fanon de Blida.
Par Meriem Benchaouia
Le bilan dressé par la responsable du service en question donne froid dans le dos. Selon elle, la situation est passée de «grave à catastrophique». À maintes reprises, elle a alerté sa hiérarchie sur les conditions de travail à flux tendu. «C’est une réalité très amère à laquelle on est confronté. La situation s’est malheureusement détériorée. Cela va de mal en pis», a-t-elle déploré. L’insuffisance de moyens a des conséquences incontestablement fâcheuses voire dramatiques, qui mettent à rude épreuve et les malades et le personnel soignant. Parmi elles, le Pr Gasti cite le manque de vêtements, de médicaments, de literie, de produits d’hygiène corporelle… et la liste est non exhaustive. «On n’a rien pour les malades», s’indigne-t-elle. Mais face à ce constat qui déjà donne le tournis, on doit composer avec une situation pour le moins inédite. Se retrouver sans eau pendant des mois lorsqu’on travaille en milieu hospitalier d’une manière générale et plus particulièrement dans un service qui de par sa particularité (psychiatrique) nécessite plus que d’ordinaire un apport conséquent en eau courante, relève de l’impensable. Il faut savoir que les personnes atteintes de pathologie psychiatrique souffrent d’un symptôme fréquent qui est l’incurie. Cela consiste, entre autres, en un désintérêt total pour leur hygiène corporelle, leur apparence vestimentaire et leur espace de vie. Alors, pour permettre d’améliorer la prise en charge de ces derniers, il faut conjuguer les efforts de tout le personnel et cela passe inévitablement par l’implication des responsables qui jusqu’à présent s’en lavent les mains. Et des efforts, la cheffe de service ne cesse d’en fournir pour au final n’obtenir que de maigres résultats. «On est resté sans eau pendant cinq mois et lorsque j’ai créé la polémique concernant cette situation, les choses ont commencé à évoluer. Il est vrai que les responsables ont tenté vainement de régler le problème, après l’ouverture d’une enquête. Ils ont enfin remplacé le moteur défaillant par un neuf, qui n’a tenu qu’une semaine», a-t-elle expliqué. Et d’ajouter : «Pour pallier cet état de fait, les employés sont obligés d’aller chercher l’eau là où elle se trouve, en l’occurrence à l’extérieur du service. A l’aide de jerricanes qu’ils remplissent, nous tentons, tant bien que mal de maintenir un minimum d’hygiène».
Quand l’incompétence fait loi, le Pr Gasti se bat
Faire face à une situation des plus compliquées, devoir composer avec le manque de tout, même des choses rudimentaires, gérer un service psychiatrique avec tout ce que cela implique sur le plan personnel et professionnel, faire preuve d’abnégation, donner de soi pour les malades, les soigner du mieux qu’on peut… c’est une chose. Mais faire face à l’incompétence, devoir se prosterner devant la statue à l’effigie du culte de l’incompétence… en est une autre. Ne surtout pas se soumettre, tel est le cheval de bataille de Mme Ghania Gasti qui fait preuve d’une détermination sans limite, quitte à s’attirer les foudres de sa hiérarchie. Depuis longtemps, la cheffe de service braque les projecteurs sur les difficultés colossales de la psychiatrie et ce n’est pas la première fois qu’elle reproche à la direction «ses méthodes» déplorables, dans tout le sens du terme. «Il y a manifestement une volonté à peine voilée de la part du directeur qui veut saboter un travail de longue haleine que j’ai entrepris auprès de mon équipe. En effet, il s’octroie le droit de faire des mutations qui sont, soit dit en passant illégales, sans même m’informer ou me consulter au préalable. Mise devant le fait accompli, je me retrouve avec soit une diminution du nombre de personnel paramédical, soit avec des employés que je ne désire avoir dans mon service.
Je tiens à préciser que ces agissements ne relèvent pas des prorogatifs du directeur ; seul le professeur chef de service peut demander un changement de poste pour l’un de ses employés le cas échéant, et ce, pour des raisons multiples. Il est à noter que l’employé a aussi le droit d’en faire la demande évidemment», a-t-elle déclaré. «Force est de constater que dans cet hôpital, la mutation est devenue un moyen pour mettre sous silence d’innombrables dépassements de la part du personnel hospitalier. C’est ainsi qu’au lieu de sanctionner en appliquant ce que la législation prévoit dans ce genre de cas et ce pour mettre fin à toute cette mascarade, on se contente de faire, si je puis m’exprimer de la sorte, le jeu des chaises musicales. En somme, l’employé en tort se voit muter dans un autre service. Ce n’est pas pour rien que le baromètre de l’absentéisme dans cet hôpital atteint ses extrêmes», poursuit-elle.
L’omerta en psychiatrie est telle, que dénoncer c’est faire face à un mur
Ne plus être résigné, ne plus cautionner ces dysfonctionnements, ne plus se satisfaire du peu qu’on nous jette littéralement comme des miettes, avoir cette volonté farouche de faire évoluer les choses mais surtout dénoncer, et crier aussi fort qu’on peut pour exorciser cette injustice à laquelle on fait face lorsqu’on ose dire faire tout simplement son travail. Voilà ce qu’endure au quotidien le Pr Gasti qui se trouve exposée telle une cible à des représailles et une intention de dénigrement dans le seul but de la discréditer auprès de tout le monde, à commencer par son personnel soignant. «Quand je donne des instructions à mon équipe, le directeur en question s’insurge et conteste mes décisions en imposant les siennes. Il va jusqu’à faire passer devant le conseil de discipline toute personne qui suit mes consignes», a-t-elle affirmé. «J’ai même reçu une note de sa part dans laquelle il est mentionné que je n’ai pas le droit d’hospitaliser des malades venant d’autres wilayas. Inutile de préciser que nul n’a le droit de décider à la place du chef de service quel qu’il soit, il est le seul maître à bord», a ajouté la cheffe de service. «Poussant la mesquinerie jusqu’à son apogée, on m’a privée d’internet dont l’usage, de nos jours, est plus qu’indispensable», a-t-elle regretté.
Le système de gestion hospitalière doit changer
Il n’y a incontestablement pas de solution miraculeuse à une telle situation, car rien n’est plus tenace qu’une habitude, et l’habitude de la médiocrité ne déroge pas à cette règle. Cependant toute solution, quelle qu’elle soit, nécessite un changement. Dans ce sens, notre interlocutrice incite les autorités concernées à revoir la politique de gestion des hôpitaux. «C’est tout le système de gestion hospitalière qui doit changer», dira-t-elle. «Il est temps d’y remédier car nous avons, plus que jamais, besoin de personnes compétentes. Pour que cela face sens, il faut, en définitive, placer les personnes qu’il faut avec les diplômes qu’il faut», a-t-elle suggéré.
Vous n’aurez pas mon désarroi…
Peu importe l’état déprimant de la santé mentale, le Pr Gasti met de côté ses états d’âme afin d’être plus performante. Travailleuse acharnée, repoussant souvent ses limites, elle ne compte pas renoncer. Bien que les obstacles qui se dressent sur sa route soient des plus opaques, la cheffe de service envisage de les vaincre.
«C’est épuisant de travailler dans des conditions pareilles, mais je le fais en premier pour les malades et ensuite parce que je suis habitée par cette profession. Si je pars tout le monde part», nous confie-t-elle. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle est toujours présente et à l’écoute. Elle n’hésite, d’ailleurs, jamais à motiver et à soutenir son personnel. Et dans cette dynamique, elle s’accroche avec l’espoir chevillé au corps.
M. B.