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jeudi 23 mars 2023

Le coupable idéal

Accusés par Seymour Hersh d’être derrière le sabotage des Nord Stream, les Américains, qui bien sûr se sont empressés de tout nier, ne trouvent rien de mieux à faire à présent que d’orienter les soupçons sur les Ukrainiens, c’est-à-dire sur ceux de leurs alliés qui étant déjà en guerre avec les Russes, n’ont pas à craindre de leur part des représailles spéciales. A la limite ils peuvent même se dévouer à la cause commune en reconnaissant leur culpabilité dans ce cas précis. En effet, tout ce qu’ils ont à subir des Russes, ne le subissent-ils pas déjà ? D’une pierre ils feraient deux coups ce faisant : d’une part un exploit technique, un haut fait serait porté à leur crédit, ce qui déjà en soi est gratifiant, et de l’autre ils empêcheraient qu’une guerre n’éclate directement entre les Etats-Unis et la Russie, étant donné que celle-ci n’attend depuis maintenant des mois que l’occasion de rendre à ceux-là la monnaie de leur pièce. Le spectre d’une troisième guerre mondiale reculerait si les Ukrainiens disaient oui c’est nous qui avons saboté les gazoducs Nord Stream. Un mensonge un seul et l’humanité aussi bien que la planète seraient sauvés, qui ne le ferait pas ?

Le monde devrait beaucoup aux Ukrainiens s’ils acceptaient de s’accuser de ce dont ils sont certes innocents, non pas d’ailleurs faute de le vouloir, au contraire ils n’auraient pas mieux demandé que d’être en l’espèce les vrais coupables, mais parce que c’est là quelque chose qui les dépasse. Ce qui fait que les Américains ne sont pas crédibles en voulant orienter les soupçons sur eux, pour les détourner d’eux-mêmes, c’est qu’il en faut des compétences pour saboter des gazoducs dans des eaux aussi surveillées que celles de la mer Baltique, lesquelles manifestement manquent au coupable idéal. La fuite organisée par les autorités américaines, aussitôt reprise par les plus grands journaux américains, suivant laquelle des indices concordants donnent à penser que c’est un groupe d’individus partisans de Kiev qui serait derrière le sabotage des Nord Stream, n’a aucune chance d’être prise au sérieux par les Russes. Elle est à peine mise en circulation que l’ambassade russe à Washington la rejette en bloc et dans le détail. N’empêche, les Américains, dont tout indique qu’ils sont les vrais coupables, n’ont rien d’autre à proposer de nature à convaincre les Russes d’en rester là, de se contenter de ce mensonge éhonté. Nous mentons, vous le savez, tout le monde le sait, mais c’est une façon, c’est même la seule façon qui nous reste de vous faire des excuses. Vous ne voudriez tout de même que nous une superpuissance nous nous rabaissions à vous demander de vraies excuses, des excuses en bonne et due forme ? Convenez que cela n’est pas possible, et que tous deux nous avons mieux à faire que de nous chamailler sur quelque chose qui après tout appartient au passé : chercher ensemble comment abréger la guerre que nous nous faisons par Ukrainiens interposés. Ce ne serait dans l’intérêt de personne que les conclusions de Seymour Hersh s’imposent à tous. La paix dans le monde n’y résisterait pas, vous le savez bien. Alors faisons tous comme si c’était vrai que ce sont des Ukrainiens, pas même les Américains, qui ont saboté les Nord Stream, même si personne n’en est dupe. Le retour de la paix en Ukraine est en partie tout au moins à ce prix-là. Si vous rejetez cette proposition de paix, et que vous vous vengez, nous serons obligés de riposter, de vous saboter quelque chose d’autre, si bien que nous serons vous et nous encore plus près de la guerre directe entre nous. Ce qui n’est ni dans notre intérêt ni dans celle de personne au monde.

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