Ce qui est en train d’arriver au gouvernement Liz Truss (de même d’ailleurs qu’à sa cheffe elle-même), dont l’avènement n’a déjà pas été chose facile, est une sorte de conte édifiant dont on peut être sûr que les gouvernements européens feront leur profit, en l’espèce en prenant un soin tout particulier d’éviter de faire comme lui. Il aurait tout autant montré la voie d’ailleurs, mais cette fois-ci à suivre et non pas à fuir, si sa mesure en quelque sorte inaugurale de baisse des impôts, notamment en faveur des plus riches, ont été bien reçues, au lieu de soulever le tollé général que même son abandon ne parvient pas à faire retomber. A se demander s’il était déjà arrivé dans le passé, que celui-ci soit proche ou lointain, qu’un gouvernement à peine installé soit déjà poussé, par ses adversaires presque autant que par les siens, vers la porte de sortie. Ou qu’un gouvernement britannique ne tienne qu’à un fil dès sa première proposition, celle-ci n’ayant même pas eu en effet le temps de se concrétiser, et par suite de déployer ses effets dévastateurs. A se demander également s’il était déjà arrivé que la classe ouvrière et les marchés financiers fassent pour ainsi dire jonction contre un gouvernement aux convictions libérales pourtant affirmées.
En général, en effet, ce qui de façon déclarée est contraire aux intérêts des travailleurs est une aubaine dont les classes riches s’empressent de se saisir, de s’approprier. Non seulement le gouvernement Truss a attisé le mécontentement social, qui n’a pas attendu son grain de sel pour se manifester, mais il a alarmé les marchés financiers par des largesses dont eux-mêmes ne voient pas comment il pourrait les assumer, les financer. L’une des premières leçons à retenir, et probablement aussi la principale, de cet épisode, c’est que les marchés financiers sont devenus très méfiants, pour voir dans le cadeau qui leur est fait un poison qu’il leur faut repousser, quitte pour cela à faire tomber un gouvernement se réclamant du thatchérisme. Liz Truss est la deuxième femme, après la Dame de fer, à devenir chef de gouvernement. Elle a voulu faire d’entrée de jeu aussi fort que son modèle. Mal lui en a pris, car maintenant il ne s’agit de rien d’autre pour elle que de tenir suffisamment longtemps pour que son nom ne soit pas synonyme du passage le plus court à la tête du gouvernement britannique. Pour cela, elle a déjà limogé et remplacé son ministre des Finances, Kwasi Kwarteng. Il ne semble pas toutefois que ce soit suffisant pour lui donner une seconde chance. De toute façon, cela ne dépend pas de son camp, qui bien sûr n’a pas besoin d’une crise comme celle dont il vient juste de sortir, mais du climat social, et davantage encore des marchés financiers, ou plutôt du sort qu’ils comptent réserver à la fois aux obligations d’Etat (les gilts) et à la parité de la livre sterling, par rapport au dollar notamment. Au moment où ces lignes sont écrites, leur verdict n’est pas encore tombé. S’il n’y a d’amélioration ni sur le marché obligataire ni sur celui du change, le sort du gouvernement Truss est scellé, bien qu’il soit revenu sur la mesure à laquelle il doit ses malheurs. Une chose est certaine, c’est que tous les gouvernements européens suivent de près ce qui lui arrive, disposés qu’ils sont à se le tenir pour dit qu’il survive ou qu’il périsse. Encore que pour qu’on arrive là, il faut qu’en général on soit plus près de la chute que du redressement.