Plus de deux mois après l’attaque contre le Capitole par une foule déchaînée de trumpistes (c’est en effet sous ce nombre que sûrement ils entreront dans l’histoire), le dispositif militaire mis en place pour en assurer la protection n’est toujours pas levé, encore qu’il ait été allégé. Sur les quelque 5 000 gardes nationaux dépêchés pour en défendre les accès, au lendemain immédiat du 6 janvier, il n’y en a plus que la moitié, mais ses abords sont toujours ceux d’un camp retranché. Il est toujours défendu par des barbelés coupants, des barrières et autres chevaux de frise, des soldats lourdement armés sur le qui-vive, prêts à faire usage de leurs armes si un danger se présentait. Par deux fois ce mois-ci l’alerte a été donnée qu’un nouvel assaut se préparait : une première fois pour le 4, jour où jusqu’en 1933 se déroulait la cérémonie d’investiture du nouveau président sur les marches de l’édifice, et une deuxième, le jour que Joe Biden choisirait pour faire son discours sur l’état de la nation devant le Congrès. Finalement il ne s’est rien passé le 4 mars. Il ne pouvait rien se passer non plus lors de la deuxième occasion, pour la bonne raison qu’elle ne s’est pas produite, Biden ayant choisi de faire une adresse à la nation, de surcroît depuis la Maison-Blanche, le 11 mars précisément, jour anniversaire d’une année de la pandémie, à quoi d’ailleurs s’est résumé son discours.
Ce que craignaient les responsables chargés de la sécurité du Capitole, ce n’était rien moins qu’une répétition de l’assaut du 6 janvier, le but étant de faire un massacre dans les rangs des congressistes, en somme d’accomplir ce qui ne l’a pas été le 6 janvier. Parmi ces derniers, l’accord ne règne ni sur le danger qui les menace encore, ni sur celui qui les avait menacé. Si on est républicain, davantage encore si on est trumpiste, on n’y croit guère, ou on fait semblant de ne pas y croire. On pense qu’il n’a pas existé le 6 janvier, qu’il est une invention des démocrates. Il s’en est trouvé un sénateur républicain pour dire qu’il n’avait pas du tout craint pour sa vie pendant les événements. Mais que cela aurait été sans doute différent si au lieu des émeutiers réels, c’avait été des BLM (le mouvement «Black Lives Matter») ou des antiFa (antifascistes) qui avaient été à l’œuvre à ce moment-là, ou les deux groupes à la fois. Dans ce cas, oui, sûrement, il se serait senti en grand danger. Le plus drôle, c’est que ce sénateur tenait ce genre de propos non pas pour confirmer les craintes de ceux qui n’étant pas de son camp avaient de bonnes raisons pour ce qui les concerne de les ressentir ce jour-là, mais au contraire pour les démentir, pour nier jusqu’à l’existence du danger. Le dispositif militaire placé autour du Capitole devrait rester en place jusqu’à la deuxième moitié du mois de mai, pour autant bien sûr qu’aucune nouvelle attaque ne se produise. Les républicains sont pour la plupart d’avis qu’il faille le lever dès à présent, car incompatible avec l’image que les Américains veulent donner à eux-mêmes et au monde de leur système politique. Le temple de la démocratie américaine, réputée la première au monde, hérissé de barbelés, comme le morceau d’une frontière entre deux armées sur le pied de guerre, c’est là un tableau cauchemardesque, qu’il faut effacer au plus vite. D’autant que sur ce point tout le monde est d’accord, républicains comme démocrates. Sauf qu’il ne s’agit pas non plus de faire dans la précipitation, ou dans l’imprévoyance, comme la première fois, parce que si cela devait se reproduire, et que le dispositif militaire était levé, tout ce qui aurait pu se produire le 6 janvier, et qui avait été évité par chance, se produirait cette fois-ci.