Dans une guerre il faut s’attendre à tout, y compris à une attaque contre le principal centre du pouvoir d’un des belligérants, comme cela s’est produit dans la nuit de mercredi sur le Kremlin, dans le saint des saints pour la Russie. Pour autant, cette attaque en particulier n’avait rien de bien destructeur, ayant été menée avec deux drones de faibles dimensions porteurs d’une faible charge, qui en plus ont été pulvérisés avant d’atteindre le dôme du Sénat russe sur lequel ils étaient en train de tomber. Les Russes se sont empressés de l’imputer aux Ukrainiens, ce que ces derniers ont démenti sur-le-champ. En attendant d’en savoir plus, trois hypothèses ont été avancées, qui semblent faire consensus parmi les commentateurs. La première est qu’en effet c’est là le fait d’agents Ukrainiens opérant à faible distance de leur cible, le Kremlin, leur intention étant cependant moins de détruire ce dernier, encore moins d’éliminer le président russe, que de perturber les célébrations du Jour de la Victoire contre le nazisme, le 9 mai prochain. La deuxième hypothèse est que c’est là le fait d’une opposition russe pro-ukrainienne, pro-occidentale par conséquent, qui d’ailleurs n’en serait pas à son coup d’essai, s’étant déjà manifestée au moins à deux occasions, à chaque fois en forme de liquidation physique d’une personnalité nationaliste russe. La troisième est qu’il s’agit tout simplement d’une manipulation des Russes, une de plus, à la recherche d’un prétexte pour procéder à une nouvelle escalade. La probabilité est des plus faibles qu’il soit possible un jour de savoir laquelle de ces trois hypothèses est la bonne. Cela serait-il malgré tout possible que cela ne serait pas le plus important. Dans ce genre d’affaire, ce qui compte en effet ce ne sont pas les faits matériels, mais ce qu’en disent leurs victimes, en l’occurrence les Russes, en seraient-ils eux-mêmes les artisans. Pour les Russes, l’attaque contre le Kremlin est une attaque ukrainienne réalisée avec l’aide des Américains. Elle est du même genre que celle qui en avril 2022 a provoqué le naufrage du Moskva, le vaisseau amiral russe. Les Ukrainiens ont appuyé sur le bouton mais en réalité ce sont les Américains qui ont tout mis au point, tout manigancé. On peut tout aussi bien dire que ce sont des attaques américaines seulement exécutées par des Ukrainiens. Peu importe donc par qui l’attaque a été faite, ce qui compte pour la suite des événements, c’est la façon dont ils sont présentés par les Russes. Ce qui va déterminer leur réponse, ce n’est pas le fait lui-même, mais la conception qu’ils s’en font, qu’ils en soient eux-mêmes convaincus ou qu’ils ne le soient pas. A moins qu’ils ne se dédisent dans les jours qui viennent, ce qui semble peu probable, l’attaque en question est pour eux une affaire entendue : elle est le fait des Ukrainiens, l’autre nom des Américains, de personne d’autre. C’est en tant que tel qu’ils lui répondront le moment venu. On sait peut-être que Dmitri Medvedev, l’actuel vice-président du Conseil de sécurité russe, a déclaré que la seule réponse possible à ce qui pour lui était une tentative d’assassinat de Vladimir Poutine est la liquidation du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Peut-être ne faut-il pas en cela le prendre au mot, d’autant que la sentence qu’il préconise ne sera pas facile à exécuter. N’empêche, le propos est déjà en lui-même une escalade.
Mohamed Habili