Quel événement de tous ceux qui se sont produits dans le cours de cette année, qui dans moins d’une semaine maintenant basculera en entier dans le passé et l’histoire, que l’on continuera de lui associer malgré le passage du temps ? Il peut y avoir plusieurs réponses nationales à cette question, chaque peuple ayant tendance à voir midi à sa porte. Une chose est néanmoins certaine, cette chose caractéristique ne peut pas être la pandémie, qui est à mettre plutôt sur le compte de 2020, même s’il y a des chances qu’elle prenne également possession de l’année prochaine dans sa totalité. Ici comme ailleurs, à tout seigneur tout honneur : c’est vers les Etats-Unis, la première puissance au monde, qu’il faut tourner le regard pour chercher l’événement à la fois le plus retentissant et le plus significatif de la marche du monde. L’envahissement du Capitole à Washington par les partisans de Donald Trump, un certain 6 janvier 2021, est à vrai dire plus qu’un événement, plus qu’un point dans l’espace-temps, une série de coups du destin, (comme ceux qui ouvrent la 5e symphonie de Beethoven – dont 2020, non pas 2021, a été l’année de célébration du 250e anniversaire de la naissance, d’ailleurs grandement perturbée quant à elle par la pandémie). L’assaut donné sur le Capitole ouvre 2021 comme les coups du destin déclenchent la Cinquième, tout en en constituant le leitmotiv, la marque lancinante.
C’est là une deuxième particularité de 2021, qui commence fort : par sa signature. Il est rare qu’une année culmine dans sa première semaine. Ce fut le cas de 2021, qui débute et
s’achève à la fois, on dirait épuisée par le monstre dont elle accouche. L’espace d’une semaine pour faite tenir toute une année. A ce compte, c’est moins une année qu’un trou noir dans l’espace-temps. Quand une année commence aussi fort, c’est qu’elle a l’intention de s’étendre sur plusieurs autres, de les absorber, de les faire à son image. L’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 rappelle irrésistiblement l’incendie du Reichestag dans la nuit du 27 au 28 février 1933. 2021 est l’année de la remontée du fascisme aux Etats-Unis, mais également en France, et ailleurs en Europe. L’incendie a terminé un processus, l’assaut pourrait bien mener à la fin de la démocratie libérale américaine, bien l’acte en lui-même ait déjà basculé dans le passé. Aux Etats-Unis et en France, c’est à la remontée du fascisme que l’année 2021 restera attachée. Aux Etats-Unis, c’est l’assaut contre le Capitole qui en atteste au premier chef, mais à la suite d’un échec électoral des néo-fascistes américains. En France, c’est une élection dont on sait par avance qu’elle se gagnera à droite, ou par l’extrême droite, ou par la droite devenue extrême. Contrairement aux Etats-Unis, où la poussée à droite a provoqué une réaction à gauche encore plus puissante, ce qui a permis la victoire de Joe Biden sur Donald Trump, en France la droitisation de l’opinion est si poussée qu’elle ne laisse aucune chance à la gauche dans la perspective de la présidentielle de 2022. Le retour du fascisme est manifeste dans les deux pays, mais c’est en France qu’il est manifeste qu’il a déjà gagné les esprits sans que pour cela on ait besoin d’attendre le verdict des urnes. Pour Jean-Luc Mélenchon en effet, pour Anne Hidalgo, pour d’autres encore à gauche, la partie est perdue d’avance. Cela veut dire que la fascisation est déjà bien avancée, au point qu’il faut déjà se poser la question de sa réversibilité. Reste que ni aux Etats-Unis ni en France, la messe n’est dite, ni dans un sens ni dans l’autre. La victoire de Biden peut être réduite à néant ou quasiment par une défaite de son camp aux élections de mi-mandat en novembre prochain. La défaite probable de l’extrême droite à la présidentielle française ne renversera pas nécessairement le cours de la fascisation, eu égard au fait que ses incarnations frappent à la porte du pouvoir.