L’ambassadeur américain à Moscou, John Sullivan, n’a pas été à proprement parler déclaré persona non grata par les autorités russes, probablement parce qu’elles-mêmes n’avaient rien à lui reprocher personnellement, mais il a été tout de même conseillé par elles de s’en retourner chez lui, son homologue russe à Washington ayant quant à lui été rappelé dès le mois de mars. Il faut savoir que la dernière fois où un représentant des Etats-Unis a été expulsé par les Russes, ce fut sous Staline en pleine guerre froide. Trois mois après son arrivée au pouvoir, Joe Biden sera déjà parvenu à couper les ponts de communication les meilleurs avec la Russie, et plus encore avec son président, qu’il s’était permis de traiter de tueur au cours d’une émission de télévision. Confronté à la même question, qui était de savoir si le président russe était un tueur, d’ailleurs sur la même chaîne et dans la même émission, son prédécesseur, Donald Trump, avait été particulièrement évasif, considérant que les Américains étaient eux-mêmes loin d’être irréprochables en matière de meurtres politiques, ce qui bien entendu n’avait pas manqué de lui attirer une volée de bois vert.
Non seulement Joe Biden avait répondu par l’affirmative, mais il avait assuré son interviewer que Poutine aurait un prix à payer pour son «ingérence» dans les élections américaines, sans que l’on sache avec précision quelles élections il avait en vue. Ce prix à payer, sa traduction jusqu’à maintenant a été l’expulsion de dix diplomates russes, à quoi les Russes ont répondu en expulsant dix diplomates américains. Le rappel de leur ambassadeur et l’expulsion qui ne dit pas son nom de son homologue américain, à l’évidence relèvent d’autre chose que du «prix à payer» promis par Biden. Et d’abord en cela que la première mesure comme la seconde ont été à l’initiative des Russes, qui réagissaient de la sorte à l’insulte faite à leur président. Les Américains n’auraient pas voulu que les choses aillent jusqu’à cette extrémité. Ils ne voulaient pas d’escalade. Ils voulaient juste pouvoir insulter le président russe, et puis faire comme si de rien n’était, passer vite à autre chose : se remettre à lui parler, envisager même une rencontre au sommet. Quelque chose de tout à fait envisageable dans le contexte de Covid, ont-ils dû se dire, les deux hommes ayant précisément pour consigne protocolaire expresse de ne pas se serrer la main. Dès lors que la poignée de main est exclue, tout devient possible en termes de rencontre. Il devient en particulier possible de faire comme s’il n’y avait pas eu d’insulte. Côté américain, en fait, tout est en train de se passer comme s’ils ne voyaient pas la gravité de la gaffe commise par leur président. Celui-ci tenait tant à paraître différent de son prédécesseur qu’il a foncé tête la première dans le premier panneau qui lui était tendu. Conséquence : la seule façon qu’il a maintenant de normaliser les relations de son pays avec la Russie, tout de même une superpuissance nucléaire, c’est de faire ses excuses à son président. Or s’il le fait, il est perdu dans l’opinion des Américains, et en particulier dans celle de son propre camp, où il est en effet de bon ton de ne pas s’embarrasser de scrupules s’agissant de Vladimir Poutine. Et s’il ne le fait pas, il lui faudra trouver d’autres canaux de communication avec ce dernier, autres que ceux qu’il avait trouvés en place en arrivant à la Maison-Blanche.
M. H.