Russes et Occidentaux, en guerre par Ukrainiens interposés comme chacun sait, se sont comme toute attente reparlé au téléphone ces derniers jours, à chaque fois à l’initiative des Russes. Au regard des circonstances il semble plutôt normal qu’ils l’aient fait non pas au niveau des diplomates en chef, mais à celui des ministres de la Défense. Le ministre russe a appelé son homologue américain, à deux reprises à ce qu’il semble, ce qui pour le moins témoigne de l’urgence du propos ; ensuite ses homologues français et britannique ; et enfin, pour autant que ce soit réellement dans cet ordre que cela s’est produit, son homologue turc. A tous, il est censé avoir dit la même chose, à savoir que les Ukrainiens se préparent à lancer une attaque à la bombe sale. Cette expression de bombe sale est une sorte de langage codé pour dire non qu’il en existe une qui ne le soit pas, mais que celle dont il est question est à même de disséminer de la matière radioactive tout en étant rudimentaire. Autrement dit, c’est une des formes de la bombe nucléaire du pauvre, à côté des bombes chimiques biologiques. Elle est dans les cordes de tous les Etats, vu que pour la fabriquer il suffit de disposer de déchets nucléaires et d’un explosif, ce qui du même coup la met à la portée de n’importe quel groupe terroriste ayant pu obtenir du matériel approprié.
La bombe nucléaire «propre» est pour sa part infiniment plus sophistiquée, et d’une force de destruction bien supérieure. On ne peut gagner la guerre avec la bombe sale, on peut juste terroriser la population civile, celle de l’ennemi comme d’ailleurs la sienne propre si celle-ci est dans le même périmètre, en contaminant son habitat, ce qui a pour effet de la forcer à le fuir. Tous ceux auxquels le ministre russe a parlé, à part sans doute le ministre turc, auquel il a dû tenir un autre langage, ont répondu, à s’en tenir aux brefs de la presse, en niant que telle puisse être l’intention des Ukrainiens. Mais ils ne s’en sont pas contenté, puisque ils auraient également fait comprendre à leur interlocuteur qu’ils voyaient très bien où il voulait en venir. Pour eux, son appel a bien pour objectif de les avertir d’une attaque prochaine à la bombe sale, à ceci près qu’elle ne sera pas le fait des Ukrainiens, mais de son camp à lui, de celui des Russes. Ce qu’il leur dit de leur point de vue, c’est qu’ils envisagent eux les Russes de mener une opération de ce type mais sous un faux drapeau, c’est-à-dire en brandissant le moment venu le drapeau ukrainien pour. Jusque-là donc, les Occidentaux craignaient, ou faisaient semblant de craindre que les Russes, qui d’après eux étaient en train de perdre la guerre, en viennent à employer la vraie bombe, la bombe propre. Ils ignoraient que les Russes méditent en fait d’attaquer à la bombe sale. Désormais ils le savent. Et ils le tiennent de première main, du ministre russe de la Défense lui-même, de Sergueï Choïgou en personne, qui les a appelés pour leur dire que les Ukrainiens nourrissaient cette intention-là. Tel est l’état dans lequel se trouve le dialogue entre les deux camps en guerre sur le territoire ukrainien. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est guère avancé. Il n’en reste pas moins qu’il est en progrès par rapport à la situation d’avant, lorsque personne n’appelait personne. La parole a été donnée à l’homme pour qu’il puisse cacher sa pensée, non pas pour qu’il la livre à l’ennemi. Déjà en temps de paix, on se ment quand on se parle. C’est naturellement plus vrai encore en temps de guerre.