Les Etats-Unis se doutent bien que personne ne les croit quand ils nient être pour quelque chose dans le sabotage des gazoducs russes Nord Stream en mer baltique fin septembre de l’année dernière. Ils l’ont fait il y a encore quelques jours après la sortie de l’enquête de Seymour Hersh, qui les en accuse explicitement, mais sur la base d’informations dont, en quelque sorte par définition, son auteur ne pouvait révéler la source. Facile dans ces conditions pour les autorités américaines de contester les faits tels que rapportés par le grand journaliste, aussi crédibles qu’ils soient en eux-mêmes. Il ne faut pas s’attendre d’ailleurs à ce que l’administration américaine actuelle les reconnaisse un jour. A cela une raison fondamentale : les faits en cause constituent un acte de guerre indéniable. Qui plus est, un acte de guerre non pas en temps ordinaire, mais en temps de guerre, ce qui précise davantage leur nature. Dans le contexte de la guerre actuelle, il reviendrait au même de reconnaître sa responsabilité dans le sabotage des Nord Stream et de se dire déjà en guerre avec la Russie. Or les Etats-Unis ne cessent d’affirmer le contraire, qu’ils ne sont pas en guerre contre la Russie, qu’ils ne font qu’aider un pays qui lui est en guerre avec elle.
Ils seraient en guerre s’ils avaient des soldats qui en Ukraine se battaient contre des soldats russes, et en tuaient à l’occasion. Or cela n’est pas le cas. Cet argumentaire s’écroulerait s’ils admettaient avoir saboté les gazoducs russes en mer baltique, puisque dans ce cas-là au moins, ce serait avouer que ce sont des militaires américains qui avaient directement agi, sans aucun intermédiaire ukrainien ou autre. Bientôt une réunion du Conseil de sécurité doit se tenir, à la demande des Russes appuyés des Chinois, pour discuter la possibilité de désigner des avocats à la réputation d’impartialité bien établie ayant mandat d’enquêter sur les causes du sabotage en question, le fait lui-même ne faisant l’objet d’aucune contestation, et cela depuis le début. Les chances pour une résolution de ce genre d’être adoptée dans les règles ne sont pas grandes, pour ne pas dire minimes. Il n’empêche, il serait intéressant de voir quelle serait l’attitude des Etats-Unis, en particulier comment ils voteraient. S’ils votaient contre la résolution, ou si mieux encore, ils recouraient à leur droit de veto pour lui faire échec, ce serait pour eux une façon
d’avouer en l’occurrence leur culpabilité. Le plus probable est que le projet sera étouffé dans l’œuf. Il n’y aura pas d’enquête internationale dont les conclusions seront ou non en accord avec celles de Seymour Hersh. Pour autant, cette histoire n’est pas condamnée à passer par pertes et profits. Elle connaîtra une suite. Il arrivera un moment, il est vrai difficile à prévoir, mais peut-être pas aussi reculé qu’il peut sembler, où elle resurgira, sous une forme ou sous une autre. Tout dépendra à cet égard du tour que prendra la guerre en Ukraine. Si elle tourne à l’avantage de la Russie, le scénario le plus probable quoi qu’on dise, le prix qu’en paieront les Etats-Unis risque d’être d’autant plus élevé. Dans le cas contraire seulement, la Russie aura d’autres soucis que celui de se rendre justice pour le préjudice subi en mer baltique, hors du champ de bataille, et dans son dos. Elle n’aura pas besoin pour cela d’un prétexte, puisqu’il y a mieux : une déclaration de guerre qui lui est déjà faite, qui attend d’être prise en considération.