C’est à une randonnée littéraire à travers les venelles et boulevards d’Alger, que Keltoum Staali convie le lecteur dans son roman «La ville aux yeux d’or», récemment paru chez Casbah éditions.
Par Nadjib Stambouli
L’auteur construit (et souvent déconstruit en livrant les ficelles de la construction) son œuvre sur un chassé-croisé entre fiction et réalité, entre inventions et vécu où le mot et le verbe font office non pas de décor, mais de personnages principaux. Keltoum Staali trace le chemin, étale des panneaux indicateurs, indique le trajet mais bifurque aussitôt, laissant le lecteur non pas égaré, encore moins désemparé, mais curieux de ce qui l’attend au prochain tournant, c’est-à-dire au prochain paragraphe.
Tout au long de cette déclaration d’amour à la capitale de l’Algérie mais aussi de son cœur, elle élague soigneusement les poncifs et le folklorisme qui l’auraient arrêtée au seuil de la seule Casbah et évite la livraison sous un nouvel habillage de l’inévitable «Ya Bahdjati» de Momo.
Le roman a ceci de distinctif qu’il a pour seul héros cette «Ville aux yeux d’or», titre emprunté à une formule de Sadek (Aissat), après un passage du bleu à l’or.
Elle a tenu à le dire lors d’une escale du livre, un émouvant et poignant éloge funèbre, même s’il ne se présente pas comme tel, dédié à l’amour décédé, ami du premier nommé.
Le seul autre personnage du livre dont on ne peut se tromper de l’identité, tout simplement parce qu’elle est déclinée, est celle de Nabile Farès, autour d’un couscous.
Par moments, mais d’aucuns y trouveront peut-être un charme, on peut regretter le versant melting-pot, presque fourre-tout de ce livre. Avec le tout petit frère mort, en regardant Darwich s’encanaillant dans un boui-boui avec Mohamed, l’ex «retrouvaillé», ou auprès de la parente à l’agonie, le lecteur abandonne sa propension à se transformer en fin limier triant l’écheveau de ce qui est vrai et ce qui l’est moins. Le lecteur, au fil des pages de «La ville aux yeux d’or» a mieux à faire que camper le rôle de flic littéraire : jouir du compagnonnage fertile avec le véritable personnage principal de ce livre pas comme les autres, qui est l’écriture, saupoudrée de métaphores toutes plus flamboyantes les unes que les autres, mais sans effet de manche.
Keltoum Staali, ou son double, Meryem, on ne sait plus, partage avec pudeur les tiraillements d’exil entre deux pays et entre deux langues, et s’élève au-dessus de la tentation de la jérémiade en faisant osmose avec le lecteur dans l’admiration de la ville en cascade et de la mer, omniprésente casaque de soie bleue qui enveloppe Alger et dont les sacs et ressacs irriguent de fraîche poésie l’œuvre entière.
Un bouton de mimosa par-ci, monture pour une petite virée par Mazouna, ville des ancêtres de l’auteur, une mosquée à Diar El Mahcoul et sa mosaïque bleue et or, sont des escales parmi tant d’autres qui parsèment les lignes de cette ode à cette ville dont la chaleur vient autant du soleil que des cœurs des Algérois. Une des habitudes de tout critique est de choisir un ou deux paragraphes pour illustrer le style de l’auteur. «La ville aux yeux d’or», donc Keltoum Staali, nous facilite la tâche mais en même temps la rend impossible.
La facilité réside dans la foison de passages à glaner, non seulement dans le livre en entier, mais dans chaque page. Quant à la difficulté, elle tient dans le fait que le seul choix qui s’impose est de recopier tout le livre. Alors, pour régler ce dilemme, il ne reste plus qu’à remettre la sélection à la décision du lecteur, tout simplement.
Même dans ce jeu, il éprouvera du plaisir, tout comme le bonheur que procure la lecture de ce roman imprégné de cette tendresse irriguant toute lettre d’amour. En lisant «La ville aux yeux d’or», les amoureux d’Alger l’aimeront encore plus et ceux qui ne l’aiment pas se délecteront de cet élixir d’amour et apprendront à la chérir.
N. S.