En plus d’être tous deux d’une grande violence, les deux sinistres de ce septembre noir dans la région, le séisme de Marrakech et les inondations monstres de Derna, ont en commun d’avoir fondu la nuit sur leurs victimes, transformant leurs maisons en autant de pièges mortels, de là le nombre si élevé des victimes. Dans le Haut-Atlas, nombre de villageois marocains ont été ensevelis sous les décombres de leurs propres maisons. A Derna, ce fut pire pour beaucoup, parfois des familles entières, que les torrents de boue ont arrachées de chez elles pour les jeter dans la mer tout proche, les faisant passer directement du lieu le plus familier et le plus sûr au plus effroyable, dans les profondeurs funestes de la mer. Il a dû s’en trouver un certain nombre, entre autres des enfants en bas âge, qui probablement ne se sont même pas rendu compte de ce qui leur arrivait. Pour puissant qu’ait pu être le tremblement de terre au Maroc, on sait maintenant que dans l’échelle de l’épouvante, il se situe loin derrière la catastrophe de Derna.
D’un côté, trois mille morts et le double pour ce qui est des blessés ; mais de l’autre, ce sont, selon des estimations loin d’être définitives, dix mille morts et autant de disparus. Mais si au Maroc la catastrophe n’était ni prévisible ni évitable, ce n’était pas le cas en Libye, où les deux barrages ayant cédé étaient depuis 2011 à l’abandon, comme
l’était d’une certaine façon tout le pays. Pour expliquer l’ampleur du sinistre, il faut remonter à 2010-2011, c’est-à-dire à la période précédant immédiatement l’agression franco-britannique qui a détruit l’Etat libyen, en d’autres termes la digue qui retenait dans son lit un oued redoutable pour ses crues imprévisibles. Cette agression, pour relativement lointaine qu’elle soit, est la véritable cause de la catastrophe de Derna. Si un jour ses auteurs étaient jugés, on devrait aussi les tenir responsables en dernier recours d’un bilan aussi lourd. Ce n’est pas le soi-disant printemps arabe qui en l’espèce est à incriminer, mais les dirigeants occidentaux fauteurs de l’agression de l’Otan contre la Libye. Le président français de l’époque, dont l’histoire retiendra combien il fut alors actif, est poursuivi aujourd’hui par la justice de son pays pour financement libyen de sa campagne de 2007. Il est coupable de bien plus que de cela. Il est le principal responsable de l’enchaînement des événements débouchant sur les dizaines de milliers de morts et de disparus d’avant Derna et de Derna, et de leurs incommensurables souffrances. La justice française le met en examen relativement à une entorse à la loi électorale, encore que ce soit en rapport avec la Libye, on dirait seulement parce qu’elle n’a pas les moyens de lui demander de répondre du crime capital qu’il a commis contre ce pays. Prenant prétexte d’une crise interne à la Libye, exploitant un contexte régional particulier, il s’était démené comme une âme en peine pour porter une guerre parfaitement inégale et injuste en Libye, prenant appui ce faisant sur des «révolutionnaires» libyens qui comme par hasard ont tous déserté le lieu du crime. Nicolas Sarkozy et le britannique David Cameron étaient allés en septembre 2011 en Libye prendre des poses de libérateurs, quelques mois après le lynchage de Kadhafi, dans lequel il n’est pas dit que l’un ou l’autre, ou les deux à la fois, ne soient pas pour quelque chose. Ils ne pourraient plus jamais mettre le pied ni en Libye, ni nulle part ailleurs dans la région, ni peut-être dans toute l’Afrique, sans courir le risque d’être arrêtés en vue d’être jugés pour crime de guerre.