Le président Kaïs Saïed a employé, il y a de cela une semaine, pour parler des Africains subsahariens présents en Tunisie, des termes qui pour le moins étaient condamnables, et qui d’ailleurs ont aussitôt été dénoncés par l’Union africaine. Il faut dire que jamais il n’est arrivé qu’un président africain tienne sur des ressortissants africains se trouvant dans son pays des propos que n’auraient pas désavoués des mouvements politiques occidentaux d’extrême droite, mais qu’eux-mêmes n’auraient tenus qu’à leurs risque et périls, car passibles ce faisant de poursuites judiciaires pour incitation à la haine raciale. Il faut espérer que ceux prononcés par le président tunisien ne provoquent pas des violences contre les Africains noirs présents pour l’heure en Tunisie, dont du reste certains sont des enfants du pays. Car si par malheur une vague de ce genre déferle, et qu’elle fait des victimes, ce n’est pas seulement la carrière politique de Saïed qui est finie, c’est la Tunisie elle-même qui est isolée sur le continent et dans le reste du monde, à supposer que ce ne soit pas déjà fait.
Ses adversaires étaient jusque-là en manque d’inspiration, dans l’incapacité de mobiliser l’opinion nationale contre le «président putschiste», comme ils l’appellent, sinon dans une trop faible proportion, ni d’obtenir le soutien ni même la sympathie de l’opinion internationale, occupée qu’elle est il est vrai à beaucoup plus grave, et puis voilà que survient pour eux la divine surprise, une aide à laquelle ils étaient à mille lieues de s’attendre : la sortie choquante de Saïed lui-même faisant de l’Africain en transit le bouc-émissaire des problèmes actuels de la Tunisie. Dire d’une déclaration qu’elle est choquante, c’est dire qu’on ne s’y attendait nullement dans la bouche de la personne qui l’a faite. Moins elle ressemble dans l’absolu à son locuteur, plus choquante elle est pour ceux qui en prennent connaissance. S’il y avait eu le moindre indice auparavant que Saïed était du genre à la tenir un jour, bien des soutiens internes et externes dont il a bénéficié, et qui somme toute lui ont permis de résister à la déstabilisation dont il est l’objet, avant le 25 juillet 2021 et après lui, lui auraient manqué ou lui auraient été refusés si d’aventure ils les avaient sollicités. Saïed a paru avant son élection et après elle un homme politique pour qui l’appartenance africaine était une sorte d’article de foi, une conviction qui allait de soi, une dimension de l’être bien plus qu’autre chose. Qui aurait pensé que viendrait un jour où il apparaitrait sous des traits tout autres, où il se mettrait à parler comme un raciste d’Occident, qu’il le soit ou non d’ailleurs ? S’il ne l’est pas, comme l’affirme son ministre des Affaires étrangères, il ne lui sera que plus facile de se dédire, de se contredire, de renier des paroles exprimant non pas ce qu’il est mais ce qu’il n’est pas. Tout autre choix d’ailleurs est suicidaire. Après la condamnation de ses propos par l’Union africaine, quel chef d’Etat africain voudrait le recevoir chez lui, ou être reçu par lui, ou même seulement paraître à ses côtés ? Saïed a fait à ses adversaires politiques, qu’il était en train de battre, un cadeau inespéré : il s’est placé sous le coup de l’accusation de racisme, la plus dégradante de toutes.