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vendredi 19 avril 2024

La santé mentale parmi les dommages collatéraux du coronavirus : Professeur Ghania Gasti : «Nous allons faire face à un tsunami psychiatrique»

L’Algérie, à l’instar de toutes les nations du monde, vit une situation inédite qui sera très coûteuse sur tous les plans. Les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie liée au coronavirus sont criantes, et cette crise a également des répercussions psychologiques graves. Plus difficiles à mettre en évidence, mais pas moins importantes, ses conséquences sur la santé mentale des populations inquiètent de plus en plus les professionnels.

Par Meriem Benchaouia
La crise sanitaire ne doit pas faire négliger le côté psychologique de cette épidémie. Il est primordial de savoir qu’en plus des retombées économiques, sociales,  le coronavirus ne passera pas sans laisser des séquelles psychologiques indélébiles.
Invitée de l’émission LSA direct, Ghania Gasti, professeure cheffe de service à l’hôpital Frantz-Fanon de Blida, a fait savoir que les conséquences psychologiques et mentales du Covid-19 n’ont pas été suffisamment prises en compte dans notre pays. C’est un cri d’alerte poussé par la professionnelle de la santé mentale qui réclame au gouvernement d’agir urgemment pour éviter ce qu’elle nomme «un tsunami psychiatrique». Stress post-traumatique, dépression, sidération, anxiété, insomnies…, Ghania Gasti a alerté sur la détresse psychologique qu’elle constate chaque jour et interpelle les  autorités pour une meilleure prise en charge de celles et ceux qui en ont besoin. Selon elle, les conséquences du coronavirus devraient être l’une des préoccupations majeures de la politique de santé en Algérie, comme partout ailleurs dans le monde. «Actuellement, nous constatons le nombre grandissant de patients souffrant de troubles psychiatriques, cela laisse penser qu’un ‘’tsunami psychiatrique’’ va déferler sur notre pays. On a actuellement d’énormes pathologies dues au syndrome du stress post-traumatique qui est une pathologie connue lorsqu’on a été confronté à  la mort d’une manière subite», a-t-elle expliqué. «Cette vague, pour le moins importante, n’est malheureusement pas prise en considération parce qu’elle va elle-même entraîner beaucoup de complications». «Bien après le déclenchement de cette pandémie, il y a eu quelques mails  qui ont été envoyés par des responsables du ministère de la Santé pour d’éventuelles prises en charge de cas nécessitant un accompagnement psychologique par des psychiatres volontaires. Cependant, cela n’a pas fait l’objet d’une véritable organisation, il s’agissait plutôt de volontariat que d’un programme planifié et bien organisé, telle est la raison qui a fait qu’il n’y a pas eu de suite et l’initiative a été étouffée dans l’œuf», a-t-elle regretté, alors qu’il est extrêmement important de bien planifier un plan de prise en charge psychiatrique, a-t-elle insisté. «Sur le plan structurel, nous avons des insuffisances assez graves, c’est-à-dire que la psychiatrie étant le parent pauvre de la médecine, nous n’avons déjà pas beaucoup de moyens car on considère que ce n’est pas une spécialité importante alors que c’est une erreur fondamentale. La maladie mentale a un impact sur la société d’une manière très importante, ce qui par ricochet a un impact socio-économique qui peut se chiffrer en milliards de dollars», a souligné avec gravité l’invitée. Le ministère de la Santé, a-t-elle poursuivi, «devrait mettre en place un programme d’aide psychologique et cela ne devrait pas concerner que les patients atteints de coronavirus. La famille qui est dans un état de stress ainsi que le personnel soignant qui est lui-même en état de stress permanent, devraient être pris en compte. Il faut absolument planifier un travail à ce niveau qui soit fait d’une manière sérieuse et organisée». Madame Gasti a insisté sur le «traumatisme» vécu par les populations, «le suivi du patient Covid ne devrait pas être uniquement un suivi cardiologique ou encore pulmonaire, il doit être également psychiatrique». Concernant le SAMU Psy qui a vu le jour dans les années 90 afin de venir en aide aux victimes du terrorisme, «une nécessité qui malheureusement à disparu, parce que beaucoup de professionnels de la santé n’ont pas jugé nécessaire de continuer  ce projet. Ce qui est dommageable», a-t-elle regretté.

Prégabaline «Saroukh», une drogue qui empoisonne à petit feu nos jeunes
Abordant le problème des addictions, notamment la toxicomanie, la cheffe de service psychiatrique a révélé une augmentation remarquable des cas souffrant de cette pathologie. Pire encore, les jeunes d’aujourd’hui se tournent vers les psychotropes. «Actuellement, nous sommes en train de voir que les produits addictogènes sont différents. Nous sommes confrontés à des toxicomanes qui consomment des produits psychotropes et en particulier la Prégabaline. Cette dernière est en train de devenir un phénomène morbide extrêmement dangereux en Algérie. Consommée en très grande quantité, la prégabaline (saroukh, taxi), présente dans l’antiépileptique et anxiolytique Lyrica, provoque des effets euphorisants et une dépendance», a souligné Ghania Gasti, qui tire la sonnette d’alarme. Ce médicament n’est pas classé comme stupéfiant et sa délivrance nécessite une simple prescription médicale, il a été détourné par les toxicomanes de sa fonction essentielle. «Le plus surprenant est que ce médicament générique, fabriqué en très grandes quantités en Algérie, entraîne d’importants dégâts sur tous les plans et pourtant il n’est toujours pas classé dans la liste des stupéfiants», dira-t-elle. «Il faut que les pouvoirs publics réagissent rapidement, car nous sommes en train de détruire toute une génération», s’est-elle alarmée.

M. B.

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