En mois d’une semaine, les Talibans ont conquis six capitales de provinces dans une offensive que l’armée afghane, créée de toutes pièces par les Etats-Unis et avec l’assistance de l’Otan, s’est montrée jusque-là incapable d’enrayer. On peut même douter que telle soit son intention, à voir en tout cas le peu de résistance qu’elle oppose, et surtout la débandade de certaines de ses formations à l’approche d’un ennemi pourtant moins bien armé et équipé qu’elles. Les colonnes déferlantes des Talibans arborent des pick-up montés d’un mitrailleur et d’une grappe de serveurs et de resquilleurs, de beaucoup plus de fantassins, barbus et enturbannés comme il se doit, armés de leurs seuls fusils, et de motos chevauchées à deux quand ce n’est pas à trois. Nulle part de blindés, ni sur chenilles ni sur roues, de camions pour le transport des troupes et des armes lourdes, de chefs reconnaissables, et encore moins d’avions protégeant leur avancée. Lorsque d’aventure il s’en inscrit un dans le ciel, c’est qu’il est américain et qu’il en a après eux. C’est qu’il est venu à la rescousse de ceux qu’ils se proposaient de submerger. Au rythme où ils marchent et roulent par monts et par vaux, ils seront bientôt en vue de Kaboul, le verrou ultime qu’il leur faudra alors faire sauter. Leur victoire n’est ni dans la qualité de leurs armes ni dans leur tactique supérieure, mais dans la rapidité de leurs jambes et la solidité de leurs pick-up et de leurs deux-roues. Plus vite ils arriveront à Kaboul, plus tôt commenceront les choses sérieuses.
Dans la mesure bien sûr où le gouvernement afghan se montrera alors décidé à défendre sa dernière position, à livrer bataille enfin. Les Talibans auraient pu attendre que tous les soldats américains soient partis pour lancer l’assaut final, d’autant qu’ils n’auraient pas attendu longtemps dans ce cas. Ils agissent comme s’ils voulaient transformer un retrait volontaire en une fuite. S’ils se montrent aussi peu respectueux de l’accord de paix signé avec les Etats-Unis, non pas donc avec les autorités afghanes, c’est qu’ils savent qu’aucune violation de leur part ne fera revenir leurs militaires. C’est justement ce qui fait que le départ des Américains ressemble lui aussi à une fuite. Si dans moins d’une semaine les Talibans étaient à Kaboul, ils ne retarderaient pas d’un jour leur départ. Leur dernier soldat sera rembarqué le 31 août au plus tard, dût Kaboul être prise avant cela. Nous n’avons pas été en Afghanistan pour fonder un Etat, a dit leur président en annonçant le retrait, mais pour éliminer un ennemi qui nous avait attaqués chez nous et de là. Ben Laden ayant été liquidé par nos forces spéciales, et les Talibans s’étant engagés par écrit à ne plus permettre d’attentats contre nous depuis leur territoire, nous n’avons plus rien à faire dans leur pays. Nous le laissons à ses habitants. Si c’est leur envie de s’entretuer, de se faire des guerres sans fin, qu’y pouvons-
nous ? Rien. Nous n’avons pas occupé ce pays pour construire ou reconstruire un Etat, soit. Pour autant nous avons mis à profit ces 20 années de présence pour mettre sur pied une armée afghane en mesure de prendre le dessus sur les Talibans. Voilà pourquoi nous disons à nos amis afghans : n’attendez pas de nous plus que ce que nous avons fait déjà. Nous avons fait notre devoir à votre égard. Nous vous avons entraîné et armé. Défendez-vous, défendez votre pays et ses gens. Dans ce combat nous seront à votre côtés, mais que ce soit bien clair : nous n’y serons pas, pas même avec un soldat.