On pourrait voir dans le fait que l’Opep+ n’ait pu tenir sa réunion de lundi dernier, qui plus est après deux précédents ajournements, une illustration de la difficulté qu’il y a aujourd’hui pour les principaux acteurs de l’économie mondiale de tenir la bride haute aux tensions inflationnistes, à l’œuvre dans un contexte de sortie progressive de la crise sanitaire. Le but de la réunion était en effet de s’entendre sur une augmentation maîtrisée de la production à mettre en œuvre tout au long de la deuxième moitié de l’année en cours, et cela dans le but premier, ce qui n’arrive pas souvent, d’empêcher l’envolée des prix. D’habitude quand des producteurs quels qu’ils soient se concertent, c’est au contraire pour décider d’une diminution de la production, seul moyen de contrer un effondrement des prix se profilant à l’horizon immédiat. En l’espèce, le report ne tient pas à un désaccord profond sur le niveau global de la hausse à pratiquer mais uniquement sur la part supplémentaire revenant à l’une des parties prenantes, à savoir les Emirats arabes unis, dont les capacités ont augmenté depuis le dernier accord de baisse, un fait non encore pris en compte dans l’attribution des quotas de production. La difficulté à surmonter ne semble pas de ce fait particulièrement ardue. Elle le serait bien plus si au lieu d’un seul membre mécontent de son lot, il y avait plusieurs pour soulever le même type de revendication.
Il n’en reste pas moins que se résoudre à un report, c’est prendre le risque de donner un mauvais signal à un marché toujours prompt à supposer le pire, à plus forte raison si aucune date n’a été annoncée pour la tenue de la réunion avortée. Si en tout premier lieu il s’agissait pour l’Opep+ en tenant cette dernière de s’inscrire en faux contre un choc pétrolier du même ordre que ceux qui lui avaient été imputé dans le passé, il ne fallait pas hésiter, il fallait donner droit aux doléances des Emirats, d’autant qu’elles étaient les seules du genre. Un accord même mauvais, c’est toujours mieux qu’un report au jour d’aujourd’hui. Si les marchés réagissaient nettement à la hausse, elle aurait été pour quelque chose. C’est que dans le court terme, il ne fait pas de doute que les pressions travaillent à la hausse, encore que ce ne soit pas de façon égale partout dans le monde. Elles sont plus marquées là où la relance (ou plus exactement la «réouverture» économique, cette relance faisant suite à une réduction drastique de l’activité pour cause de pandémie) est la plus dynamique. Nulle part elle ne l’est autant qu’aux Etats-Unis, le pays occidental aujourd’hui le plus près de retrouver son niveau d’activité d’avant la crise sanitaire. Il se trouve que les tensions inflationnistes y sont aussi les plus fortes. L’inflation y a dépassé les 4%, alors que rien n’était parvenu sur une décennie à la hisser au niveau souhaité des 2%. Sa réapparition est en débat, aux Etats-Unis bien sûr, mais également ailleurs. Est-elle revenue pour croître et s’installer dans la durée, créant du même coup les conditions d’une nouvelle ère économique, ou bien est-elle appelée à s’effacer de nouveau, dès lors que les goulots d’étranglement dans la chaîne de production mondiale induits par la pandémie se seront distendus, donnant lieu aux désengorgements nécessaires ? On connait la réponse de la Fed à cette question. Elle a été réaffirmée tout récemment, lors de la conférence de presse d’il y a deux semaines de son président, Jerome Powell. Pour elle, si l’inflation sévit bel et bien de nouveau, et à une cadence à quoi elle-même ne s’attendait pas, il n’en reste pas moins qu’elle est conjoncturelle, c’est-à-dire étroitement liée aux aléas du retour à l’état d’avant la pandémie.