Pas de doute à avoir là-dessus : les forces de l’Otan, les américaines les premières, seront toutes parties de Kaboul, ou plutôt de l’aéroport de Kaboul, où elles se sont toutes entassées, à la fin du jour d’aujourd’hui, 31 août 2021. A minuit tapante très exactement, toutes se seront déjà rembarquées. Cela comme convenu avec les Talibans, mais contre l’avis premier des autres membres de l’Otan, qui bien que d’accord pour quitter un pays qu’ils occupent depuis vingt ans, auraient voulu cependant prendre plus de temps, c’est-à-dire tout leur temps. A ce qu’ils disent pour être sûr de n’oublier personne de leurs ressortissants et de leurs «interprètes» derrière eux, et dans ce cas aux mains des Talibans, en réalité seulement pour ne pas avoir l’air de fuir. Preuve en est que lorsque le président américain a repoussé leur requête, leur disant qu’il n’était pas question pour lui de retarder le retrait ne serait-ce que d’un jour, on ne les a plus entendus sur ce point. Si les Américains ont trouvé le temps convenu avec les Talibans suffisant pour mener à son terme un rapatriement présenté comme le plus massif de l’histoire, ou de leur histoire, ce qui pour eux est souvent la même chose, leurs alliés devraient pouvoir s’en contenter eux aussi.
Ils auraient même intérêt à faire plus vite encore, sans quoi ils risquent d’être encore dans l’aéroport de Kaboul alors que la couverture américaine n’y est plus. Ce n’est pas là une vague possibilité : des obus ont déjà été tirés sur l’aéroport qui ont été interceptés par les batteries anti-missile américaines. Tout autour de l’aéroport, et au-delà, dans la profondeur même de l’Afghanistan, l’armée américaine est sur le pied de guerre pour tenir en respect l’Etat islamique et al-Qaïda, très désireux, on imagine bien, d’écraser sous les bombes une telle concentration d’ennemis au mètre carré. Or tous n’ont pas envie de suivre les Américains dans le retrait précipité. Un pays, un seul, veut non seulement conserver son contingent sur place mais le renforcer. Ce pays, c’est la Turquie, qui décidément une fois qu’elle a mis le pied quelque part hors de chez elle ne se montre guère pressée de l’en retirer. Le fait que là où aidée par les circonstances elle est parvenue à le poser, en Syrie et en Libye notamment, bien loin de se préparer à quitter les lieux, elle s’ingénie au contraire à y renforcer sa présence. Son projet déclaré en Afghanistan est de se substituer à partir d’aujourd’hui à l’armée américaine dans la défense de l’aéroport de Kaboul. Une proposition qui avait commencé par être rejetée par les Talibans, mais dans laquelle ils ont fini par voir du bon, mais après l’avoir quelque peu modifiée. Les Turcs veulent-ils se montrer utiles à l’aéroport Hamid- Karzai, sans lequel l’Afghanistan et les Talibans seraient en effet isolés du reste du monde ? Eh bien, qu’ils se chargent de son administration. Le reste, c’est-à-dire sa protection, étant une question de souveraineté, doit revenir aux nouvelles autorités. Il a suffi que les Talibans y aillent de leur contre-proposition pour que les Turcs trahissent leur véritable intention : en fait occuper, non pas seulement protéger l’aéroport. Une fois qu’ils s’y seront retranchés, prenant du même coup le contrôle du seul débouché de l’Afghanistan sur le monde extérieur, c’en sera fini de son indépendance. Car évidemment ils ne se contenteront pas de l’aéroport, d’autant que pour défendre quelque endroit que ce soit, force est de surveiller son environnement également. Et pour défendre cet environnement, il faut protéger ses parages à lui. Si bien que de proche en proche, c’est tout l’Afghanistan qu’il faudra protéger.