Pour le moment on ne sait trop si les cours du pétrole vont osciller autour des 70 dollars ou les dépasser, un seuil franchi lundi dernier, ou bien régresser de façon marquée pour se situer entre 50 et 60 dollars, comme le pense notamment le P-DG de Total, Patrick Pouyanné. La baisse d’hier n’a pas été pour le démentir en tout cas. Pour autant il n’est pas évident que le réajustement supposé par lui va se poursuivre, même si la reprise économique n’en est encore qu’à ses premiers frémissements, et que le monde n’est pas encore tout à fait à l’abri d’un rebond de la pandémie. En fait, même dans la fourchette basse, celle des 50 à 60 dollars le baril, la tendance haussière n’en reste pas moins à l’ordre du jour. Il n’en serait autrement que si la pandémie repartait de plus belle. Ce qui d’ailleurs signerait du même coup l’échec de la vaccination, un scénario peu probable mais qu’on ne peut pour l’heure écarter absolument. De même qu’auparavant tout semblait conspirer pour faire baisser les prix du pétrole, ainsi aujourd’hui tout a l’air de se liguer pour au contraire les pousser à la hausse. Les facteurs essentiels de baisse sont connus. Ils se ramènent d’une part à la crise économique persistante malgré l’éloignement dans le temps de la crise financière de 2008 qui l’a déclenchée, et de l’autre à la crise sanitaire due à l’épidémie de Covid à l’œuvre depuis maintenant plus d’une année.
Le moins que l’on puisse dire est qu’elles ont été au diapason l’une de l’autre, la deuxième accentuant, renforçant les effets de la première. Ce que la première vague a laissé debout, la deuxième a failli le jeter bas en entier. La faiblesse de la demande de pétrole, déjà bien réelle du fait d’une récession persistante parce qu’en fait structurelle, n’a pu qu’empirer sous l’effet ultérieur des confinements et fermetures imposés par la pandémie. Cette conjonction de deux facteurs agissant dans le même sens a conduit en avril dernier à des ventes à perte sur le marché américain. Des opérateurs ont dû payer à ce moment pour qu’on les débarrasse de leur surplus. Peu de temps après, les prix se sont mis pourtant à se redresser. Il est vrai sans beaucoup d’allant, mais c’est qu’on était alors au plus fort de la crise sanitaire. S’ils ont a tout le moins infléchi leur cours, c’est qu’il devenait de plus en plus évident qu’un des secteurs de la production pétrolière, celui du schiste américain, n’avait pas en réalité le grand avenir qu’on lui avait prédit. Dès juillet de 2020, Chesapeake, la firme américaine pionnière dans ce domaine, se déclarait en faillite. D’autres l’avaient précédé dans cette voie, et d’autres encore la suivraient bientôt. Le dégonflement de la bulle du schiste, une prédiction que des analystes avaient faite depuis quasiment le début de l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, se réalisait et d’une façon plutôt spectaculaire. Toute cette activité n’a pas cessé aujourd’hui, il s’en faut, mais tout porte à croire qu’elle est condamnée à terme. Et elle ne l’est pas parce que la ressource s’avère plus rare qu’on ne l’avait cru, mais parce que cette industrie n’est tout simplement pas rentable économiquement parlant. Si elle a pu se développer, c’est parce qu’elle a été portée à bout de bras par les banques et les marchés financiers dans le contexte de l’après crise de 2008 et de la politique monétaire expansionniste mise en œuvre ensuite pour contenir la déflation qui menaçait, et qui d’ailleurs menace encore. Avec le début de la fin pour le pétrole de schiste, ce sont plus de 10 millions de barils par jour qui ont commencé à manquer au marché mondial. Plus de 10 millions de barils jour, c’est le niveau de production de l’Arabie saoudite ou de la Russie. Qu’on imagine un peu ce qui adviendrait des prix si l’une ou l’autre était amenée pour une raison ou pour une autre à sortir du marché. Or c’est précisément ce qui est en train de se passer depuis la faillite de Chesapeake.