Comme une pandémie ne se développe pas dans seul un milieu uniforme, en quelque sorte abstrait, qui serait extensible au monde entier, mais dans des milieux nationaux et régionaux spécifiques, à ce titre susceptibles d’être en rupture les uns avec les autres, le point de vue local sur son évolution conserve toute sa pertinence. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer le phénomène en cause dans des pays aussi proches les uns des autres que sont les pays maghrébins. Ceux-ci offrent à cet égard des tableaux dissemblables, au double plan du nombre des contaminations et des décès par jour, chose constatable depuis quasiment le début de l’épidémie, ou plus exactement depuis son installation. C’est là quelque chose qui a pris tout le monde au dépourvu. Les Maghrébins considérant qu’ils forment pour l’essentiel un seul peuple, ce qui aurait été normal à leurs yeux, c’est que l’épidémie se comporte chez eux en gros de la même façon par-delà les frontières entre leurs Etats. Ce n’est pas le cas. Tant par le nombre des décès que par celui des nouvelles contaminations les différences sont notables entre eux quatre. Le moins touché, c’est la Mauritanie, à la fois le moins peuplé et le moins urbanisé. Ensuite vient la Libye, dont le tableau d’ensemble est, malgré la différence en termes de population, plutôt proche de celui qu’offre l’Algérie.
Les plus affectés sont la Tunisie et le Maroc, dont le nombre cumulé des décès est très largement supérieur à celui que rapporte l’Algérie, autant dire le triple. La Tunisie et le Maroc se situent du reste dans le haut du classement parmi les pays africains, tant pour le nombre des affections que pour celui des décès quotidiens. Mais si le point de vue pays par pays a toute sa pertinence, compte tenu notamment des disparités étonnantes qu’il permet de relever dans une même partie du monde, il ne doit pas être le seul à être adopté dans le contexte d’une pandémie. En cette matière, on a intérêt à avoir en permanence un œil sur soi et un autre sur autrui, autrui au pluriel. On peut distinguer trois axes d’observation simultanés : soi-même, la région puis le continent auxquels on appartient, le monde dans son ensemble en troisième lieu. De même qu’il faut pouvoir établir une comparaison entre pays à l’intérieur d’un même ensemble géographique, il en faut une d’un continent à l’autre. C’est ainsi qu’il saute aux yeux combien l’Afrique, c’est-à-dire le continent pour lequel on craignait le pire au moment où la pandémie éclatait, a été épargnée en comparaison de ce qui est advenu du continent européen, pour ne parler que de ce dernier. Un seul pays européen, la France par exemple, a enregistré jusqu’à présent des nombres d’infections et de décès du même ordre que le continent africain pris dans son ensemble. A cette échelle, nos différences maghrébines, qui ont pu sembler importantes, s’en trouvent grandement relativisées, amoindries même. Lorsqu’on fait retour sur elles depuis un poste d’observation un peu plus éloigné, non seulement elles tendent à se niveler localement, mais à s’aligner sur les chiffres africains en général. L’autre caractéristique de l’Afrique impossible à manquer alors, c’est qu’un seul pays africain, l’Afrique du Sud, fait à lui seul presque la moitié de tout ce que fait le continent, aussi bien pour le nombre des contaminations que celui des décès.