Dans beaucoup de médias, occidentaux ou non d’ailleurs, la guerre actuelle est appelée la «guerre de la Russie contre l’Ukraine». Cet intitulé est évidemment un parti-pris. A ce point qu’il est équivalent à «agression russe contre l’Ukraine», d’ailleurs très employé au début de la guerre, mais qui ensuite l’a été moins, probablement parce qu’il était par trop biaisé. Il a été quelquefois remplacé, par les Américains en particulier, par «guerre de choix», par opposition à «guerre de nécessité», une expression apparue pour la première fois dans la bouche de leur président, et qui elle est censée renvoyer à la Deuxième Guerre mondiale, au cours de laquelle la Russie s’était trouvée contrainte de se défendre contre l’agression nazie, alors que dans le présent rien ne l’obligeait à s’attaquer à l’Ukraine. «Guerre de nécessité, guerre de choix» est un livre américain paru en 2009, qui a eu du retentissement, qui lui traitait des deux interventions de l’armée américaine en Irak, qualifiant la première de guerre de nécessité, et la seconde de guerre de choix. En somme, guerre de nécessité est le nouveau nom américain pour guerre juste, et guerre de choix de guerre injuste. Une guerre de nécessité se gagne, comme il se doit, et l’autre guerre se perd au bout du compte, quoi qu’on ait fait pour la remporter.
Lorsque le président américain a pour la première fois dit de la guerre en Ukraine qu’elle était une guerre de choix, celle-ci à vrai dire n’avait pas encore éclaté, encore qu’elle fût alors tout près de commencer. Il voulait dire qu’étant une mauvaise cause, elle serait fatalement perdue. Or il ne pouvait pas ignorer que du point de vue russe cette guerre est une guerre défensive, et à ce titre, guerre de nécessité. Ce qui la rendait nécessaire pour les Russes, c’est la volonté clairement affirmée de Kiev à la fois de faire partie de l’Otan et d’entreprendre un jour proche la libération de la Crimée et du Donbass de leur présence. Ainsi donc, ce qui est pur choix pour les Américains se présente comme une ardente obligation pour les Russes. Maintenant rien n’empêche de se poser la question de savoir si pour les Ukrainiens l’entrée dans l’Otan est un choix ou une nécessité, en d’autres termes quelque chose de juste ou d’injuste. Ce choix ou cette nécessité sont de toute façon à l’origine de la guerre actuelle, dont l’appellation la plus neutre est sûrement «guerre en Ukraine», car dépourvue de tout jugement de valeur. En soi cette expression ne dit même pas qui est en guerre contre qui. Loin d’être incomplète ou tronquée pour cela, elle est au contraire de ce fait plus recommandable encore. Car s’il est évident que l’un des belligérants est la Russie, le vis-à-vis est par contre plus problématique. Contre qui se bat la Russie en effet, contre seulement l’Ukraine ou contre l’Otan dans son ensemble, sauf que les affrontements se déroulent tous sur le sol ukrainien ? L’expression «guerre en Ukraine» semble d’un côté ne pas vouloir apporter de réponse à cette question, mais de l’autre tient à suggérer qu’en l’occurrence l’objet n’est pas si facile à définir, qu’il est peut-être sans exemple auquel le rapporter. Cela dit, on peut toujours essayer de l’améliorer, quitte pour cela à l’alourdir, en lui appliquant par exemple le distinguo américain entre guerre de nécessité et guerre de choix. Mais alors «Guerre en Ukraine de choix» ou «Guerre en Ukraine de nécessité» ?