Appliqué à ce qui se passe pour l’heure au Soudan, le mot de guerre ne va pas de soi, d’autant moins si on prend pour terme de comparaison le conflit ukrainien, auquel le même mot en revanche convient parfaitement. Ce n’est en tout cas pas lui qu’emploient les protagonistes soudanais, qui lui préfèrent celui de coup d’Etat, ou plutôt l’expression «tentative de coup d’Etat» à l’initiative du camp malfaisant, auquel le camp du bon droit, à chaque fois bien sûr celui qui s’exprime, est bien obligé de s’opposer, moins pour son salut propre d’ailleurs que pour celui du Soudan. Les Forces armées soudanaises disent faire face à un putsch concocté par les Forces de soutien rapide, sauf que c’est exactement le même langage qui est tenu par ces dernières. Pour les premiers concernés donc, les acteurs mêmes du conflit, ce n’est pas une guerre qui a éclaté au Soudan, mais une flambée de violence, des affrontements limités dans le temps et dans l’espace, qui de plus bientôt prendront fin, inévitablement par la victoire du camp représentant et défenseur de l’ordre et de la légalité sur celui de l’illégalité, du désordre et du crime.
Avec une telle conception des événements, on comprend que les trêves s’enchaînent tout en étant allègrement violées. Les affrontements ne sont en réalité que des escarmouches, comparés à ceux qui s’observent même aujourd’hui en Ukraine, à la veille d’une contre-offensive ukrainienne en préparation depuis des mois. Mais si le Soudan n’est pas encore plongé dans la guerre, dans la guerre au sens ukrainien du terme, c’est-à-dire dans une vraie guerre, il n’est pas non plus en proie à une guerre civile. On ne serait en droit de parler de guerre civile que si une partie du peuple soudanais s’opposait par les armes à une autre partie du même peuple soudanais. On en est fort loin pour le moment. En fait, on ne voit pas le Soudan prendre ce chemin-là. Les civils ou bien fuient Khartoum, du moins pour ceux d’entre eux qui le peuvent, ou bien se terrent en attendant que l’orage passe, mais ne montrent aucune disposition à entrer dans la mêlée. Pour autant, cette situation n’est pas appelée à durer. Elle ne peut s’étaler sur des mois, mais seulement sur des semaines, sinon c’est le Soudan qui dans sa forme actuelle cessera d’exister. Les regards sont tournés vers lui en premier lieu parce que la véritable guerre, la guerre en Ukraine, celle dont l’issue quelle qu’elle soit aura des répercussions mondiales, est à la veille d’un assaut ukrainien décisif. On a dit de la contre-offensive ukrainienne qu’elle était un fusil à un coup. Si l’attaquant rate son coup, il ne pourra pas recommencer, il ne pourra pas revenir à la charge. Tout le monde en est conscient, mais tous font comme si les Ukrainiens ne risquaient que de perdre cette bataille-là. Les Russes, pense-t-on en Occident, ayant pris tout ce qu’il y avait pour eux à prendre, vont désormais se contenter de le défendre. Ils resteraient sur la défensive même après avoir réussi à repousser la contre-offensive. Il n’y a pas la moindre chance que cela se passe ainsi. Les Russes reprendront nécessairement l’initiative dans ce cas de figure, s’ils résistent à l’assaut à venir. Ils lanceront leur propre contre-attaque, et ce sera pour porter le coup de grâce, aussi bien à l’Ukraine atlantiste qu’à l’Otan. Les Ukrainiens en fait n’ont plus le droit à l’erreur. Or ils ne donnent pas l’impression d’en être vraiment conscients. Ni eux ni non plus leurs alliés, qui les poussent à l’attaque après les avoir réarmés à bloc.