Au bout de trois semaines de guerre en Ukraine, il n’est toujours pas facile de se faire une idée solidement fondée sur le temps qu’elle pourrait encore prendre avant que son cours ne tourne nettement à l’avantage de l’un ou l’autre belligérant. Impossible en tout cas de répondre dès à présent à la question de savoir où en est-elle tout bien considéré : à ses débuts, à mi-parcours ou presque, ou déjà vers sa fin ? On ne se poserait pas ce genre de question, si on ne s’était pas attendu à ce que l’armée russe ne fasse qu’une bouchée de l’armée ukrainienne, à ce qu’elle aille en quelque sorte tout droit de sa ligne de départ au cœur du pouvoir ukrainien. Bien entendu, la victoire, en l’espèce, ne revêt pas la même apparence, la même signification première, pour les deux camps. S’il suffit à l’armée ukrainienne de résister, de contenir l’avancée des troupes russes, et quelquefois de les repousser, en somme de faire durer la guerre, pour estimer être sur le chemin de la victoire, c’est tout l’opposé pour l’armée russe, pour qui le temps ne travaille pas, en apparence en tout cas. Pourtant, même si les combats devaient durer bien plus longtemps que prévu, à la fin ils se solderaient par la victoire des Russes, c’est là la projection la plus réaliste. Une autre issue serait calamiteuse pour tout le monde, car elle conduirait à une troisième guerre mondiale.
La résistance ukrainienne, pour autant qu’elle soit réelle et durable, en tout état de cause n’a pas vocation à se transformer en une contre-offensive pleine de vigueur et d’allant, susceptible de faire repasser la frontière aux troupes russes. Mais plus la guerre en Ukraine dure, plus nettement elle se transformera en une autre guerre, qu’elle est déjà jusqu’à un certain point : celle opposant directement la Russie à l’Otan. En trois semaines, cette mue a fait du chemin. Elle en fera plus dans les trois prochaines semaines. Aujourd’hui, on ne peut exclure qu’elle finisse par prendre le pas sur sa première forme, celle qui domine encore. C’est que la guerre en Ukraine est double dès le départ, la dominance revenant à tel aspect plutôt qu’à l’autre au fur et à mesure de son développement. Que
disent les responsables ukrainiens de plus en plus souvent aujourd’hui à leurs alliés occidentaux ? Que si ceux-ci ne les aidaient pas de toutes leurs forces, le moment viendrait où ce sont eux qui seraient attaqués. Une fois qu’ils en auront terminé avec nous, ils s’occuperont de vous, ont-ils de plus en plus tendance à dire à leurs alliés. Trois semaines plus tard, les Ukrainiens en fait ne se contentent plus de demander des armes, et des sanctions contre la Russie, mais un engagement direct de la part de l’Otan, ce que serait par exemple l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne. Les Occidentaux se refusent toujours à leur donner satisfaction sur ce point, mesurant très bien à quoi cela aboutirait, mais pour combien de temps encore ? Cela personne ne le sait. Tout est encore possible, que la guerre s’arrête bientôt, la Russie finissant par écraser la résistance ukrainienne, mais aussi qu’elle tire en longueur, et alors se développer pleinement en l’autre guerre qu’elle est déjà. Qu’elle est d’ailleurs depuis plusieurs années déjà, non pas seulement depuis le 24 février dernier.