Au bout d’à peu près trois semaines de combats en Ukraine, la Russie ne s’est toujours pas emparée de Kiev, son objectif intermédiaire premier, en tout cas celui à la réalisation duquel elle consacre le meilleur de ses forces mises en jeu dans cette guerre, ni non plus d’ailleurs d’aucune des plus grandes villes ukrainiennes. Il n’en fallait pas plus pour faire dire à certains qu’elle était en train de perdre la guerre, et à d’autres, plus circonspects, qu’elle pourrait à la fin des fins ne pas la gagner. On voit mieux aujourd’hui deux
choses : l’une est qu’elle n’est absolument pas en train de la perdre, et l’autre est que l’armée ukrainienne se défend bien mieux qu’on ne l’aurait supposé. Ce qui tient à la fois à ses qualités propres et au fait que les colonnes russes marchant sur elle s’expose par la même à sa résistance. L’Otan s’y serait prise autrement : avant d’envoyer des troupes au sol, elle aurait commencé par faire depuis le ciel table rase de tout ce qui aurait pu ne fût-ce que gêner leur progression. Une stratégie qu’elle a mise en œuvre partout où elle est intervenue, encore que ce soit en Irak qu’elle l’a et essayée et employée avec la dernière rigueur. L’armée russe a franchi la frontière avec l’Ukraine dès le premier jour de la guerre, alors que les Ukrainiens étaient encore en possession de tous leurs moyens.
L’Otan aurait attendu que l’ennemi soit déjà à terre pour envoyer ses troupes l’achever. Pour faire ce genre de guerre, il ne faut pas seulement que l’ennemi soit beaucoup plus faible que soi-même, il faut aussi ne pas avoir de considération pour lui. Il y a du racisme dans les guerres de l’Otan. Le fait que le président ukrainien dise que les Russes ont eu plus de morts est à leur honneur. La supériorité de leurs armes leur aurait permis d’en avoir beaucoup moins. Une alliance militaire comme l’Otan qui n’a mené que des guerres parfaitement asymétriques acceptera-t-elle d’en faire une qui ne le soit pas, et qu’elle pourra perdre de ce fait ? A en croire son chef, le président américain, oui, lui qui vient de réaffirmer que l’Otan ne cédera à la Russie pas un pouce de ses terres. Jusque-là on pensait que l’Otan, c’était juste une alliance militaire entre Etats indépendants. On se trompait, elle est un super Etat souverain sur l’ensemble de ses membres. Il n’en reste pas moins que depuis le 24 février, il ne s’agit plus pour elle de gagner des terres, de s’élargir comme on dit, mais d’en perdre, ou plutôt de ne pas en perdre, de conserver inentamées celles dont elle s’est déjà assurée. Une façon comme une autre de signifier à l’Ukraine qu’elle ne se battra pas pour elle, qu’au contraire elle se fait déjà à l’idée de la voir passer tout entier dans le domaine russe. Ce qui pour prendre plus de temps que prévu n’en reste pas moins inéluctable. Dans quelques jours, dans quelques semaines, peu importe, l’Ukraine redeviendra russe, sous une forme ou sous une autre. Alors la Russie sera de nouveau disponible pour pousser l’Otan encore plus loin de ses frontières, un projet que le retour de l’Ukraine dans son giron est loin de mener à son terme. Les regards se tournent vers la Pologne et la Roumanie, qui commencent déjà à se demander si elles ne sont pas condamnées à connaître le même sort que l’Ukraine. Si ce sont elles qui dans l’immédiat sont dans le collimateur des Russes, c’est pour une raison que tout le monde connaît mais dont personne ne veut parler, pas encore en tout cas.