Lorsque dans un système politique quel qu’il soit, les partis de gouvernement, souvent au nombre de deux, en viennent à douter de la transparence des élections qui périodiquement les opposent et les départagent, le temps n’est pas loin où ils attribueront purement et simplement à la fraude celles qu’ils perdront. Les Etats-Unis en sont là aujourd’hui. Par deux fois déjà, le camp qui a perdu la présidentielle (les démocrates en 2016, les républicains en 2020) n’a pas reconnu sa défaite comme il sied dans une démocratie bien portante, bien qu’il soit vrai en même temps que leur réaction n’a pas été exactement la même à ces deux circonstances. En 2016 les démocrates n’ont pas affirmé sans ambages que l’élection de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis était due à la fraude, ce que feraient leurs adversaires quatre ans plus tard, avec la défaite de Trump devant Joe Biden. Les démocrates non plus n’ont pas cherché à faire rejeter les résultats en faisant en sorte qu’un certain nombre des leurs envahissent le Capitole au moment où le Congrès s’apprêtait à les proclamer. Ils n’en ont pas moins cherché à délégitimer l’élection de Trump en la présentant contre toute vraisemblance comme la conséquence d’une interférence étrangère, celle de la Russie. Ils auront tout entrepris pour le destituer, en menant une campagne de déstabilisation incessante, quasiment depuis le jour de son entrée à la Maison-Blanche, culminant dans un premier impeachement, qui ne pouvait pourtant pas aboutir, puis dans un deuxième, alors même que son mandat avait expiré. Les républicains n’ont pas manqué de leur rendre la pareille avec l’élection de Joe Biden. En 2016, les démocrates n’ont certes pas dénoncé l’élection de Trump, mais ils n’ont pas pour autant reconnu leur défaite, mise sur le compte d’une intervention étrangère, ce qui est pire qu’une fraude. La guerre civile américaine a eu pour cause immédiate une élection, celle d’Abraham Lincoln. S’il doit y avoir une deuxième guerre civile aux Etats-Unis, ce sera probablement à la suite d’une élection dont les résultats ne seront pas reconnus par les perdants. Ce sont les démocrates qui ont ouvert la boîte de Pandore par une campagne anti-Trump menée jour après jour pendant tout un mandat. La question qui se pose est de savoir si les élections du 8 novembre vont ou non se dérouler normalement, c’est-à-dire si leurs résultats vont être ou non acceptés par ceux qui les perdront. Des deux camps, celui qui a le plus à perdre dans l’immédiat, ce ne sont pas les républicains, qui sont déjà dans l’opposition, mais les démocrates, qui sont au pouvoir, et qui ont tout à perdre s’ils perdent cette fois-ci. Ces élections ne sont pas en effet comme les autres. Dans une conjoncture politique normale, c’est même la règle que le camp dont est issu le président en fonction perde les élections de mi-mandat. Mais en l’occurrence, ce serait pour les démocrates plus qu’une défaite, une catastrophe dont ils pourraient ne jamais se relever. La vérité, c’est que depuis 2016 les Etats-Unis sont plongés dans une guerre civile à blanc. Pour qu’elle devienne une guerre civile ordinaire, c’est-à-dire la deuxième guerre civile américaine, il suffirait que les résultats de ces élections ne soient pas reconnus. Bien entendu, on ne peut savoir par avance ce qui va se passer au lendemain de ces élections, le pire pas plus que le meilleur n’étant sûr. Mais le climat régnant est déjà celui d’une guerre civile.
Mohamed Habili