Si l’on pouvait, il y a encore quelques jours, entretenir des doutes sur ce que va être le climat politique aux Etats-Unis dans les mois à venir, le discours d’Orlando, en Floride, tenu par Donald Trump dimanche dernier, dans le cadre de la grand-messe annuelle des conservateurs américains, a dû faire justice d’eux. Trump vient à peine de quitter la Maison-Blanche que le voilà reparti en campagne, avec la même hargne, le même désir de l’emporter que si un rendez-vous électoral capital était pour demain. Ce qui sans doute n’est pas pour étonner de lui. N’empêche, cela va à rebrousse-poil d’une tradition américaine bien ancrée qui veut qu’un ex-président s’abstienne de s’en prendre vertement à son remplaçant. Barack Obama avait attendu la fin du mandat de Trump avant de se mettre à le critiquer, et encore, tout au moins au début, en des termes empreints de retenue. Ce que Trump a dit de Joe Biden, le nouveau président, un mois à peine après son installation, est d’une violence extrême, même si le gros des attaques n’a pas été dirigé contre lui personnellement. De bout en bout Trump s’est exprimé comme le chef d’un camp à qui a été volée une victoire électorale largement et honnêtement acquise. Cette vérité première, ce dogme, si l’on peut dire, est précisément ce qui fait qu’il est resté le chef de son camp. Un statut auquel n’a pu prétendre aucun de ses prédécesseurs républicains, ni même démocrates d’ailleurs.
Il y a quatre années, Trump était un candidat qui s’était imposé à l’establishment républicain, pour lequel il faisait plutôt figure d’intrus. Aujourd’hui en revanche, alors même qu’il n’a pas été réélu, cet establishment ne pèse plus d’aucun poids devant lui. Les caciques du parti qui ne lui ont pas fait allégeance, ou qui pire encore ont voté contre lui lors du procès en destitution intenté par les démocrates, ne sont d’ailleurs plus que quelques-uns. Dans son discours, il les a désignés un par un par leur nom à la vindicte d’une base qui buvait ses paroles, et qui sûrement va les harceler. Il était une sorte de greffon, une pièce rapportée, un corps étranger à peine toléré au sein du parti. Il est maintenant le chef de ce dernier. Les Bush, les Chenez, les Romney, les Mcconnell, toutes les célébrités républicaines dont il recherchait l’amitié, dont le soutien lui était nécessaire, même du temps où il se trouvait à la Maison-Blanche, c’est à elles maintenant de quémander la sienne, et de filer doux. Le principe du chef, un trait caractéristique des formations d’extrême droite, est désormais une réalité dans le parti républicain, jusque-là en fait moins qu’un parti, une machine électorale pour candidats conservateurs. Trump est responsable de l’envahissement du Capitole le 6 janvier dernier, un acte unique dans l’histoire des Etats-Unis, un scandale, un séisme à peine imaginable avant qu’il se produise. Il serait aujourd’hui poursuivi pour haute trahison, et probablement déjà jeté en prison si son arrestation et son jugement étaient possibles. Or loin de connaître ce retour de bâton, il a été acquitté par le Congrès. Il peut sembler malgré tout que les Etats-Unis ne soient pas pour l’heure en proie à des troubles. Même que pour eux le plus dur soit passé, puisque Trump n’est plus à la Maison-Blanche. Que s’il y avait une crise, celle-ci est maintenant surmontée, du moins quant à l’essentiel. Cela est faux. La réalité, c’est que ce pays, tout de même la première puissance au monde, est plus que jamais divisé en deux camps inconciliables, l’un d’eux s’estimant victime d’une fraude électorale gigantesque par la faute de l’autre. Pour lui, le président actuel est illégitime. Il va non seulement le dire et le répéter, mais agir en conséquence, car telle est la culture politique américaine. Les Etats-Unis passaient jusqu’à récemment par une phase de polarisation aiguë, ils viennent de basculer carrément dans la crise politique.