En France, l’Assemblée issue des élections de juin s’installe le plus normalement du monde, comme si elle était là pour durer les cinq années qui lui sont constitutionnellement imparties. Elle est pourtant la première, et peut-être même la dernière, de son genre. Sa particularité réside dans le fait qu’elle manque de majorité absolue, nécessaire pour gouverner dans le cadre du régime existant, que ce soit dans le cas normal où chef de l’Etat et majorité sont du même camp, soit dans le cas contraire, celui d’une cohabitation. Le président Macron dispose d’une majorité relative, bien que réélu tout récemment, et de la façon qui ne laisse aucun doute à cet égard. Cela aurait dû le garantir contre toute mauvaise surprise aux législatives venant dans la foulée de la présidentielle, d’autant que l’inversion du calendrier électoral a été conçu pour empêcher toute cohabitation. Il manque à la majorité présidentielle, ou plus exactement à l’alliance présidentielle, plus d’une quarantaine de voix pour être en mesure de voter les lois qu’il plaira au gouvernement de présenter à l’Assemblée. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement français n’est pas soutenu par une majorité absolue ; en revanche, c’est la première fois qu’il manque autant de voix à une majorité pour tenir en respect l’opposition.
Aujourd’hui, en France, à peu près tout le monde est convaincu que la nouvelle législature n’est pas à même de remplir sa mission, et que d’ores et déjà se pose la question de sa dissolution. Celle-ci sera à l’ordre du jour à plus ou moins brève échéance. Il se peut même qu’elle le soit plus tôt qu’on ne le croit généralement. Pour l’heure, la Première ministre reconduite dans ses fonctions, Elisabeth Borne, s’efforce de former un gouvernement de coalition, seul moyen en effet de se forger une majorité durable. On ne sait trop si elle y parviendra au bout du compte. Mais l’on sait déjà qu’elle n’a pas l’intention de demander un vote de confiance d’entrée de jeu, c’est-à-dire dès la présentation de son programme aux députés. Certes, elle n’y est pas obligée, mais dans les circonstances actuelles cela semble s’imposer. Se dérober à cette épreuve est un aveu de faiblesse, sans compter que ce sera juste pour un temps, qu’il faudra s’y plier un jour ou l’autre. Un vote de censure pourra s’ensuivre, une menace d’ailleurs déjà brandie par le groupe d’opposition le plus nombreux, celui de la Nupes, laquelle pourra s’abattre à tout moment. Quoi qu’il en soit, l’espérance de vie de cette Assemblée ne semble pas bien longue. Le gouvernement, s’il n’arrive pas à se doter une bonne fois pour toutes d’une « majorité d’action », pour reprendre sa propre expression, sera tenu de se trouver des majorités au cas par cas, différentes selon les textes qu’il compte proposer. Dans ces conditions, il arrivera nécessairement un moment où il ne s’en trouvera aucune, et qu’il flanche. On pourra alors compter sur l’opposition toutes tendances confondues pour vouloir le jeter à terre. La culture politique française n’est pas celle du compromis, tout au contraire. Le chef de cette majorité relative n’attendra lui-même que le bon moment pour dissoudre. Une chose qu’il ferait sans plus attendre s’il était sûr du résultat de nouvelles législatives. Seulement voilà, il n’est plus sûr de rien. Il aurait dit à l’annonce des résultats des législatives de juin : Nous entrons dans le bizarre. Il voulait dire dans la crise.