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vendredi 19 avril 2024

Juge Bensaoula à propos de sa réélection à la Cour africaine : «Une reconnaissance de l’Algérie en tant qu’Etat défenseur des droits de l’Homme»

Réélue récemment membre de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples pour un deuxième mandat (2024-2030), la magistrate Chafika Bensaoula continue son combat passionné pour le respect des droits de l’homme en Afrique. Dans cette interview, la juge internationale aborde plusieurs questions relatives au renforcement des droits de l’homme sur le continent africain, les défis actuels, les perspectives, etc.

Par Lynda Naili

Le Jour d’Algérie : Proposée et soutenue par l’Algérie, votre candidature a été reconduite pour un 2e mandat à la CADDHP avec un score de 38 voix sur les 41 Etats votants. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Chafika Bensaoula : Avoir été reconduite pour un 2e mandat, c’est pour moi l’apogée d’une reconnaissance pour une  juge internationale qui cumule quarante ans d’expérience reconnue par ses pairs et son pays. C’est le renouvellement d’une confiance totale pour représenter l’Algérie à des niveaux élevés et continuer à se battre pour les bonnes causes, pour la liberté  et la paix. Ce qui suscite en moi la volonté de m’investir et de travailler davantage durant ce 2e mandat afin d’honorer et de conforter la position de mon pays, tant sur le plan régional qu’international. Ce 2e mandat, c’est aussi une reconnaissance du rôle de l’Algérie en tant qu’Etat défenseur des droits de l’Homme. En effet, l’Algérie, toujours en faveur de la conciliation et du dialogue, est très cotée, très écoutée. Ses combats permanents pour défendre les valeurs et principes des droits de l’homme et des peuples à travers le monde, notamment en Afrique, lui sont reconnus au niveau de l’Union africaine.
Un grand bravo à l’Algérie parce qu’elle est parvenue à garder un poste qui lui attribue le titre de défenderesse des droits de l’homme, des libertés, de la paix, des causes humaines. Tahya el Djazair.

En septembre 2022, la CADDHP, pour la première fois, a rendu une décision qualifiée d’historique en condamnant l’occupation marocaine du Sahara occidental. Qu’en est-il de la mise en application de cette décision ?
Effectivement. Il faut savoir que par rapport à certains Etats, la Cour africaine fait face à un problème d’interprétation de ses arrêts En ce sens où ils les considèrent comme une ingérence et remettent donc en cause la compétence de la Cour. D’où la problématique que pose leur exécution. C’est pourquoi, la Cour, dans le cadre de sa stratégie de communication, mène ces dernières années, auprès des Etats membres, des campagnes d’information et de sensibilisation à travers un dialogue ouvert afin d’expliquer le travail de la Cour, ses prérogatives et compétences qu’elle exerce dans le respect total du protocole, du règlement et de la Charte. Une charte que, pourtant, les Etats africains ont eux-mêmes légiférée.
Aussi, en vertu du rapport annuel de la Cour, nous communiquons à l’Union africaine un rapport sur l’ensemble des activités de la Cour des arrêts exécutés et ceux qui ne l’ont pas été. A ce niveau, le Conseil exécutif de l’UA interpelle les Etats concernés pour l’exécution des décisions et connaître les raisons des non-exécutions.
Pour le moment, la Cour n’a pas un mécanisme qui oblige les Etats à exécuter ses décisions. Voilà pourquoi nous estimons que le Conseil exécutif de l’UA devrait s’atteler, sous peine de sanctions, à faire exécuter les arrêts de la Cour dans l’intérêt des victimes et la protection des droits humains.

Justement, à quand la création d’une Cour africaine de justice des droits de l’homme ?
La création de la Cour africaine de justice des droits de l’homme n’a aucun rapport quant à l’exécution des décisions de la Cour. La compétence pénale des CADDHP a été mentionnée dans le protocole de Malabo, adopté en juin 2014, qui a modifié le protocole créant la CADDHP et qui malheureusement n’a reçu aucune ratification. Faisant que jusqu’à aujourd’hui cette Cour n’a pas été mise en place. Les compétences de la Cour restent du domaine des droits de l’homme.
Toutefois, si demain des ratifications se font, à ce moment-là, nous aurons une Cour africaine de justice qui comprendra une section dédiée aux droits de l’homme, une d’ordre général et une section criminelle. Ce n’est qu’à ce moment-là que la Cour disposera des mêmes compétences de la Cour internationale pénale et pourra, de ce fait,  juger ceux qui auront enfreint les règles liées aux droits humains.

Pour beaucoup d’Africains, la CADDHP représente un espoir de justice.
Pourquoi ?
La CADDHP est une cour de justice régionale. C’est la seule cour qui a une compétence générale. Tous les pays africains (Etats et citoyens) peuvent venir devant elle pour réclamer leurs droits et demander justice. L’objectif de la CADDHP est que tous les citoyens africains puissent bénéficier de ses prestations. Malheureusement, le nombre réduit des Etats qui ont fait la Déclaration pénalise leurs citoyens. Néanmoins, dans ce cas-là, les citoyens concernés peuvent aller devant la Commission des droits de l’homme de Banjul pour déposer leurs requêtes. A elle d’engager soit une instruction soit une saisine de la CADDHP. Dans ce cas, même s’il n’y a pas de Déclaration du pays d’origine, la CADDHP peut juger la requête.
La CADDHP reste un grand espoir pour beaucoup de citoyens africains, notamment dans certains pays où le droit de recours n’existe pas. Elle reste le dernier recours pour ceux qui ont vu leurs droits à la santé, à l’éducation, à la liberté, lésés. On voit cela dans les pays qui n’ont pas signé la Déclaration (après avoir ratifié le Protocole, le pays doit signer la Déclaration permettant à ses citoyens, après avoir épuisé les droits recours nationaux, d’aller vers la CADDHP).

Certains pays ont retiré leur Déclaration permettant la saisine de la Cour. Croyez-vous que cela peut freiner l’engouement de ceux qui prévoient la signature de la Déclaration ?
Au jour d’aujourd’hui, 34 Etats africains ont adhéré au Protocole de création de la CADDHP. Malheureusement, il n’y en a pas autant pour les Déclarations. Après le retrait du Rwanda, du Bénin, de la Côte d’Ivoire et de la Tanzanie qui ont retiré leur Déclaration, ils ne sont que huit à avoir signé leur Déclaration.
Lorsqu’on vient à analyser les raisons de ces retraits, la question de souveraineté évoquée par ces pays en réponse aux arrêts rendus par la Cour est relative. En effet, à partir du moment où l’on ratifie sans réserve un traité, la Cour applique tous les textes ayant trait aux droits de l’homme. Ce qui revient à dire que parler de souveraineté une fois que la Cour a rendu une décision n’a pas de sens.
A titre d’exemple, quand on condamne un Etat à modifier sa loi pénale parce qu’elle ne donne pas le droit au juge de choisir entre la peine de mort et l’emprisonnement à vie, la Charte de la CADDHP protège le droit à la vie. Lorsqu’on condamne un Etat à maintenir la scolarité des filles jusqu’à un certain âge afin qu’elles ne se retrouvent pas dans la rue, la CADDHP protège le droit à l’éducation et à l’enseignement,
La charte de la CADDHP n’est pas une création de la Cour mais celle des Etats africains fondateurs de l’Union africaine qui ont rêvé d’une Cour africaine, pour l’Afrique, pour les Africains. Donc refuser d’appliquer les décisions de la CADDHP est un non-sens.
De toutes les manières, nous ne perdons pas espoir, des visites de sensibilisation sont effectuées à travers le continent en faveur de la ratification ou de la Déclaration. Des promesses d’adhésion ont été formulées. C’est une question de temps, d’urgence au niveau national.
Depuis une année nous avons eu trois ratifications, deux Déclarations. Ce qui est une très bonne chose.
Les Etats font confiance à la Cour. Ils ont enfin compris que les juges ne défendent pas uniquement les citoyens mais les Etats aussi. Les juges de la CADDHP balancent entre le droit des Etats et celui des citoyens. La Charte africaine parle de  droits mais aussi de devoirs. Les statistiques de la Cour démontrent qu’il y a autant d’affaires rendues contre les Etats que celles rendues contre les citoyens.

La CADDHP est dans une certaine mesure le baromètre des droits de l’homme en Afrique. Quels sont les nouveaux défis auxquels vous êtes confrontés aujourd’hui et comment les surmonter ?
Effectivement. Le succès de la Cour africaine est celui de l’Afrique et des droits de l’homme. Une Cour africaine qui survit démontre que l’Afrique ne va pas bien. Le politique déteint forcément sur les droits de l’homme et des peuples. Notre force est dans la satisfaction des citoyens d’avoir obtenu justice à travers les décisions de la Cour et de voir que notre mission est accomplie. Les grands défis pour la CADDHP restent l’exécution de ses arrêts.
L. N.

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