L’appel de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) pour une grève ouverte le 19 mai 1956, en pleine guerre de Libération nationale, «résumait la justesse de la cause nationale face au colonialisme français» et marquait une démonstration de la prise de conscience des étudiants et des lycéens qui ont rejoint la lutte armée, estiment des historiens.
Par Yanis G.
L’historien au Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, Dr Amar Mohand-Amer, a soutenu, dans un entretien accordé à l’APS à l’occasion de la commémoration du 65e anniversaire de la grève des étudiants du 19 mai 1956, que l’appel du 19 mai 1956 lancé par l’Ugema «résumait la justesse de la cause algérienne face au colonialisme français et la maturité et l’engagement de cette jeunesse qui, très rapidement, répond à l’appel du FLN», estimant que cet appel «devrait être enseigné dans les lycées et les universités».
«Avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres» : cette déclaration informe en elle-même sur «la profondeur du combat de nos lycéens et étudiants», dont l’engagement pour la libération du pays avait commencé avant mai 1956, selon Dr Mohand-Amer.
Evoquant l’apport de cette grève au cours de la Révolution et l’adhésion des étudiants et lycéens aux rangs du FLN/ALN, Dr Mohand-Amer a affirmé que cette grève avait apporté «un nouveau souffle au FLN, un saut qualitatif, mais surtout une plus grande visibilité à l’international».
Par cette grève ouverte, souligne l’universitaire, les dirigeants du FLN/ALN avaient montré que la jeunesse instruite était «engagée et qu’elle était dans son rôle naturel, celui
d’être côte à côte avec les moudjahidate et moudjahidine».
L’appel à la grève constituait aussi, selon l’historien, une réponse à «la propagande colonialiste, pour qui la révolution algérienne se résumait à de groupes fanatiques de hors-la- loi et téléguidés de l’extérieur».
Concernant la recherche en histoire, à l’instar de celle de la grève du 19 mai 1956, l’universitaire estime qu’elle devrait «sortir du commémoratif et du folklore, au profit d’une véritable prise en charge sérieuse et académique». «Ce serait le meilleur hommage à rendre à l’Ugema, au sacrifice des étudiants et lycéens, et à l’histoire nationale», estime-t-il.
De son côté, l’enseignant de l’histoire à l’université de Chlef, Dr Mohamed Bentrar, qui intervenait, lundi, lors d’une conférence au Musée national du Moudjahid à Alger, la guerre de Libération nationale était «la seule guerre dans le monde qui a connu la participation de toutes les couches de la société».
«Des paysans, des vieux, des jeunes, des femmes… y ont pris part, parce que c’était une guerre contre un colonisateur, dont le seul souci était d’effacer
l’identité de la société algérienne», a-t-il souligné.
L’enseignant a évoqué également le rôle des étudiants algériens durant, et surtout avant la guerre de Libération nationale, soulignant que les premières organisations estudiantines remontent aux années 1920, dont l’Amicale des étudiants musulmans algériens, présidée en 1926 par Ferhat Abbes, selon M. Bentrar.
Avant la grève du 19 mai 1956, qui a duré 17 mois, M. Bentrar rappelle qu’une autre grève de 15 jours avait été observée par l’Ugema, qui était «une démonstration que les étudiants étaient conscients de la cause algérienne».
Lors de la même rencontre, Dr Amar Talbi a, dans un témoignage, confié qu’il était en Tunisie le 19 mai 1956, où il était étudiant à l’université Ez-zitouna depuis en 1951. Au déclenchement de la guerre, Amar Talbi qui avait adhéré en 1953 au Parti du peuple algérien (PPA), était chargé des affaires culturelles à la section de l’Ugema à Tunis, présidée à cette période-là par Abdelhamid Mehri, puis par Abderrahmane Chibane.
«Le premier groupe d’étudiants ayant répondu à l’appel de la grève ont été envoyés au pays pour rejoindre les rangs du FLN/ALN et plusieurs d’entre eux étaient tombées au champ d’honneur à la frontière», a-t-il affirmé.
Durant la période de la grève, la situation sociale des étudiants algériens s’était beaucoup dégradée, souligne M. Talbi. «Les étudiants algériens avaient trouvé l’aide et le soutien auprès de l’Union des étudiants tunisiens», témoigne-t-il.
L’ancien ambassadeur d’Algérie en Afrique du Sud, Noureddine Djoudi, a, dans un récent témoignage à l’APS, indiqué qu’il venait tout juste de terminer sa formation de professeur de littérature et de civilisation anglaise à Londres lorsque la direction du FLN, au milieu de 1955, l’avait engagé comme représentant en Grande-Bretagne. «Mon rôle était de sensibiliser l’opinion publique de ce pays sur notre combat. J’ai tissé des liens avec trois membres du Parlement britannique qui m’avaient beaucoup aidé», a témoigné M. Djoudi, dont la carte d’adhésion portant le n° 2632 lui avait été délivrée dès la création de l’Ugema, à la salle de la mutualité à Paris, en juillet 1955.
Ainsi, la grève du 19 mai 1956, ajoute M. Djoudi, avait crée un lien entre l’Ugema et les différentes associations estudiantines dans le monde.
«Pendant deux ans, je sensibilisais dans les universités. Il y avait l’engagement définitif. On ne pouvait pas rester à l’écart de notre pays», note l’ancien ambassadeur qui dit avoir été «marqué» et «forgé» par le 8 mai 1945, affirmant que les Scouts musulmans et l’Ugema représentaient, pour lui, «sa première école du nationalisme».
Madjid Brahmi, 1er élève martyr à Béjaïa en 1956 à porter la fièvre de la liberté
Il s’appelle Madjid Brahmi. Il n’avait que 15 ans lorsque l’armée coloniale l’a brûlé vif dans l’incendie de sa maison familiale, localisée à Bouberka, dans la région de Toudja, à 35 km à l’ouest de Béjaïa. Il a été victime d’une opération militaire punitive, infligée collectivement à tous les habitants du hameau, accusés de soutenir la révolution et de cacher des moudjahidine dans leurs abris.Lui, ses parents et sa sœur ont été littéralement calcinés. Et pas moins de 23 autres personnes ont subi le même sort au terme de cette journée funeste du 23 mars 1956, et au cours de laquelle même les femmes enceintes n’ont pas pu avoir grâce aux yeux de leurs bourreaux, à l’instar de Fatima Debbouz, épouse du grand moudjahid Mohand Arab Debbouz, qui a subi l’épreuve du feu sans la moindre pitié, selon le récit d’un témoin du village, Arif Sahelia, ami et copain d’école de Madjid, qui tous deux fréquentaient le même établissement primaire à Toudja, «l’école Maurice-Donanin», en l’occurrence.
«C’était un véritable carnage avec des scènes d’horreur insoutenables», se souvient-il encore la gorge nouée d’émotion et accablé par l’atrocité d’un souvenir indélébile, celui du «mélange des cendres des maisons aux restes humains calcinés».
Madjid, qui savourait ses vacances de pâques à la maison, s’apprêtait à repartir à Béjaia et y rejoindre les bancs de son collège, l’actuel «lycée Ibn Sina» où il était élève en classe de 3e. Il a été sauvagement ravi à la vie. Mais sa mort n’a pas été vaine. Elle a été le catalyseur d’un soulèvement généralisé de collégiens et lycéens dans la région, voire dans tout le pays, qui par cohortes, à l’appel de l’Ugema (Union générale des étudiants musulmans algériens) ont troqué leur banc d’école contre les maquis et leurs stylos contre les fusils.
Y. G.