L’arrivée en tête ce 29 mai du premier tour de l’élection présidentielle colombienne de Gustavo Petro, ex-guérillero du M-19 reconverti dans la politique, ancien maire de Bogota et dans le présent membre du Sénat, ne lui a pas permis, comme cela du reste était prévisible, de devenir dès ce moment le premier président de gauche dans l’histoire de la Colombie. Pour autant, elle n’est pas annonciatrice d’une deuxième défaite pour lui, après celle de 2018 devant Ivan Duque. Il s’en faut même de beaucoup compte tenu à la fois de son avance sur celui qu’il affrontera lors du deuxième tour le 19 juin prochain, assez importante en effet, puisqu’elle est de 12 points, Rodolfo Hernandez, et du fait que ce dernier n’est pas l’homme qu’on lui donnait comme compétiteur à cette occasion, Federico Gutièrrez, le représentant de la classe dirigeante colombienne, l’une des plus droitières sinon la plus droitière du continent.
On attendait Gutièrrez, un légitimiste pour ainsi dire, le président sortant sous un autre avatar, pour lui donner la réplique trois semaines plus tard, mais c’est à un outsider, un troisième homme, un sans-parti, qui plus est émule de Donald Trump, que les électeurs ont préféré confier cette tâche. Mais ceux qui en Amérique notamment ont pensé, dès l’annonce des résultats du premier tour, assister d’ici le 19 juin au duel de deux extrémismes, de deux incarnations de l’antisystème, l’une de droite et l’autre de gauche, en seront pour leur frais. Les grands journaux américains, qui dans les Amériques donnent généralement le ton, ont déjà sorti l’affiche : le guérillero repenti vs le crypto trumpiste. Par nature les deux faces d’une même médaille : le populisme, aussi opposées qu’elles puissent paraître à première vue. La réalité, c’est que Gutièrrez n’a pas plus tôt su qu’il ne serait pas au deuxième tour qu’il a appelé ses électeurs à se reporter sur Hernandez. Il n’aurait certainement pas été aussi prompt à se déterminer si pour lui les deux finalistes appartenaient à la même famille politique, à ceci près que l’un représenterait son aile droite et l’autre son aile gauche. L’appel de Gutièrrez à faire barrage à Petro a eu pour premier effet de remettre les pendules à l’heure. Ce ne sont pas deux variantes d’un même populisme qui vont s’affronter dans la perspective du deuxième tour de la présidentielle, mais bien une coalition de droite et une coalition de gauche, de surcroît autour d’enjeux n’ayant rien de mystérieux puisqu’ils sont ceux qui depuis toujours et partout dans le monde mettent aux prises les intérêts de classes opposées. La Colombie est un pays fortement inégalitaire où la violence politique est coutumière, mais où les classes populaires, réduites à la misère, réinvestissent en force le terrain des luttes sociales et politiques. Elles sont pour l’heure sur l’offensive et leurs adversaires sur la défensive. Si Petro est élu, comme tout semble l’indiquer, ce ne sera pas seulement lui qui constituera une première, mais également sa colistière pour la vice-présidence Francia Marquez, la première Afro-Colombienne à accéder alors à une si haute fonction.