Pour faire baisser les prix à la pompe à la veille de Thanksgiving, une fête populaire synonyme de grands déplacements aux Etats-Unis, l’administration Biden, n’ayant pu obtenir de l’Opep+ la hausse de production qu’elle leur demandait instamment depuis plusieurs jours déjà, s’est décidée ce mardi à prélever 50 millions de barils dans les réserves stratégiques du pays. Une mesure exceptionnelle que la première puissance économique au monde ne prend qu’en dernier recours, à chaque fois donc pour parer à une urgence : une catastrophe naturelle de grande ampleur, ou bien une guerre mettant hors marché un pays producteur, et sans qu’il soit possible de suppléer rapidement à son offre habituelle. Le nombre de fois où les Etats-Unis ont puisé dans leurs réserves de pétrole, estimées à 700 millions de barils, se compte sur les doigts d’une main. La dernière remonte à 2011, lorsque la production en Libye était venue à manquer en raison de la guerre que connaissait alors ce pays. L’administration américaine tient à préciser que la mesure prise l’a été en coordination avec d’autres pays eux-mêmes gros consommateurs, dont la Chine, l’Inde et le Japon. Bien qu’après elle il n’y ait eu jusqu’à présent que le Japon pour annoncer qu’il lui emboîtait le pas, il n’y aucune raison de ne pas la croire.
Ce serait bien la première fois que face au cartel des producteurs, les gros consommateurs se constituent à leur tour en groupe uni par le même intérêt, celui de faire baisser les prix, ce qui ne s’est jamais produit. Jusque-là quand une guerre des prix éclate sur un marché, quel qu’il soit, pétrolier ou non, c’est pour mettre aux prises deux gros producteurs, ou deux groupes de producteurs. La conséquence en est toujours la surproduction, avec pour corollaire la baisse des prix, à la grande satisfaction des consommateurs. Il se trouve qu’en l’occurrence l’initiative ne vient pas des producteurs mais des consommateurs, encore qu’il y en ait parmi eux qui sont eux-mêmes d’importants producteurs. C’est notamment le cas des Etats-Unis. Pour autant, les hostilités mises en œuvre sont de même nature que dans une guerre des prix ordinaire. En puissant dans leurs réserves, les consommateurs créent une surproduction relative, destinée à réduire d’autant l’offre des producteurs. Les premiers 50 millions de barils que les Etats-Unis sortent de leurs réserves répondent à leurs besoins de 3 jours seulement. A l’annonce de cette décision, les prix pétroliers ne sont pas partis à la baisse, s’ils n’ont pas non plus augmenté, de façon sensible en tout cas. Tout se passe comme si le marché est resté dans l’expectative, ne sachant à quoi se résoudre devant une situation pour le moins inhabituelle. Au lieu de se fournir chez les producteurs, les consommateurs puisent dans leur stock. Leurs raffineries transformeront en carburant les mêmes quantités de brut qu’auparavant. Or il n’y aurait de baisse pour que le consommateur final que s’il y avait un surplus d’offre de carburant. Le but recherché par la mesure est double : la baisse du carburant d’une part, la hausse de production du brut de l’autre. Le plus probable est qu’il y aura échec sur les deux plans. Les quantités que les consommateurs puiseront dans leurs réserves sont des manques qu’il faudra dans un deuxième temps remplacer par des achats auprès des producteurs. A la première urgence, celle de la baisse des prix, fera suite rapidement une deuxième urgence : celle de refaire le plein de ses réserves stratégiques. De sorte qu’il faut s’attendre davantage à une hausse qu’à une baisse des prix.