Si le refus de plusieurs personnalités politiques françaises de soutenir l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne au début des années 2000 avait commencé à perturber les relations entre Paris et Ankara, c’est bien la loi présentée sous la présidence de Nicolas Sarkozy pénalisant la négation du génocide arménien qui mettra fin pour de bon fin aux bonnes relations entre les deux pays. Car si Recep Tayyip Erdogan, dont la sensibilité ressemble souvent à de la sensiblerie, s’émeut souvent, il le fait particulièrement lorsque cela touche au génocide arménien. Or, aujourd’hui, c’est la première puissance mondiale et allié de la Turquie qui va reconnaître à son tour ce tragique évènement historique. Joe Biden va devenir cette semaine le premier président des États-Unis à reconnaître le génocide arménien, au lendemain d’un appel à son homologue turc Recep Tayyip Erdogan qui a mis en garde par avance contre toute volonté de soutenir ce qu’il a dénoncé, sans surprise, comme un «mensonge». Joe Biden avait promis, avant son élection, de prendre l’initiative sur ce dossier. Au téléphone avec le président turc, le locataire de la Maison-Blanche a exprimé sa volonté de bâtir une «relation bilatérale constructive», selon le bref compte rendu américain qui évoque la nécessité d’une «gestion efficace des désaccords». Ankara a seulement souligné de son côté «le caractère stratégique de la relation bilatérale» et l’importance d’une «coopération plus étroite». Sans citer les États-Unis, le président turc avait dès jeudi adressé une mise en garde à peine voilée à Washington. Lors d’une réunion avec des conseillers, il a prévenu qu’il continuerait à «défendre la vérité contre ceux qui soutiennent le mensonge du soi-disant génocide arménien (…) à des fins politiques». Malgré des années de pressions de la communauté arménienne aux États-Unis, aucun président américain ne s’était jusqu’ici risqué à fâcher Ankara, allié historique de Washington et membre de l’Otan. Le Congrès américain a reconnu le génocide arménien en décembre 2019, lors d’un vote symbolique, mais le président Donald Trump, qui entretenait d’assez bonnes relations avec Recep Tayyip Erdogan, avait refusé d’utiliser le mot, parlant seulement d’«une des pires atrocités de masse du XXe siècle». Les Arméniens estiment qu’un million et demi des leurs ont été tués de manière systématique pendant la Première Guerre mondiale par les troupes de l’Empire ottoman, alors allié à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. Ils commémorent ce génocide chaque année le 24 avril. La Turquie, issue du démantèlement de l’empire en 1920, reconnaît des massacres mais récuse le terme de génocide, évoquant une guerre civile en Anatolie, doublée d’une famine, dans laquelle 300 000 à 500 000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort. «Nous ne devons jamais oublier ni rester silencieux sur cette horrible et systématique campagne d’extermination», avait souligné Joe Biden durant sa campagne. «Si nous ne reconnaissons pas pleinement le génocide, si nous ne le commémorons pas, si nous ne l’enseignons pas, les mots ‘’plus jamais’’ ne veulent plus rien dire», avait-il ajouté. L’annonce du président américain n’aura pas de portée légale, mais elle ne peut qu’aggraver les tensions avec une Turquie que le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a qualifiée de «soi-disant partenaire stratégique» qui «par de nombreux aspects ne se comporte pas comme un allié». D’ailleurs à Washington l’on se doute bien qu’il n’a pas grand-chose à craindre de la part d’un Erdogan qui, s’il aboie beaucoup ne mord pas, et qui aime surtout se donner en spectacle en gonflant des muscles.