On disait l’autre jour ici même que la probabilité est forte que la présidentielle française de 2022 soit une répétition de la précédente, et sinon globalement du moins dans son deuxième tour, les choses semblant en effet s’acheminer de nouveau vers un duel final mettant aux prises Emmanuel Macron à la candidate de l’extrême droite Marine Le Pen. Qu’un président sortant se représente, rien de plus banal. Mais qu’un premier mandat plus tard, ce même président doit affronter le même adversaire, voilà qui n’est pas fréquent. Encore moins si cet adversaire est le représentant, en l’occurrence la représentante, de l’extrême droite, une famille politique qui ne prospère que sur une crise politique catastrophique. Une victoire de Marine Le Pen en effet, ou même seulement la possibilité qu’elle puisse se produire, enfoncerait la France dans une crise politique majeure. Ce serait tout simplement la fin de la 5e République. Il faut qu’un pays aille très mal pour qu’un candidat soit certain d’être élu ou réélu dès lors qu’il n’a pas été éliminé au premier tour. Mais tout cela on le savait déjà. Ce qu’on ne pouvait pas deviner, en revanche, c’est qu’une vingtaine de généraux à la retraite en viendront bientôt à signer, en compagnie de plusieurs centaines de militaires dont une vingtaine encore en activité, une tribune dans laquelle ils menacent d’un putsch s’il n’est pas trouvé remède à ce qu’ils appellent le «délitement» de la France.
Comme par hasard leur mise en garde est publiée le jour même du soixantième anniversaire du Putsch d’Alger. Une vingtaine de signataires mis à part, lesquels sans doute seront sanctionnés, tous les autres sont des retraités. Pour autant, les autorités françaises ne prennent pas le fait à la légère. Il y a soixante ans, l’alerte a été sérieuse également, quoi qu’en ait dit ensuite Charles de Gaulle – «Le plus grave dans cette affaire… c’est qu’elle n’est pas sérieuse» –, puisque la quatrième explosion nucléaire a été précipitée de peur que la bombe, qui se trouvait déjà à Reggane, ne tombe entre les mains des putschistes. Pour autant la question se pose de savoir si la réaction du pouvoir actuel aurait été la même si Marine Le Pen ne s’était pas vue confortée dans son ambition par la tribune des généraux, au point d’ailleurs d’appeler ces derniers à la rejoindre dans son «combat pour la France». De sorte que la répétition de mai prochain ne sera pas une pure copie de l’original de 2017. Le putsch symbolique des généraux fait déjà la différence. D’après un sondage réalisé dans la foulée de la publication de leur tribune, 58 % des Français se reconnaîtraient dans son contenu. Ce chiffre est loin de correspondre à celui des intentions de vote au second tour, lequel reste favorable à Macron, bien que sa rivale tende à réduire l’écart entre eux. Que la crise, déjà là, s’aggrave ou s’atténue dans les semaines et mois à venir dépendra dans une large mesure de cet écart. S’il se rétrécit, cela veut dire que Le Pen conserve ses chances pour la prochaine présidentielle, où Macron ne pourra pas prendre part. Une réélection obtenue par lui à l’arraché suffira à elle seule à plonger la France dans l’instabilité, bien que dans ce cas de figure le pire soit évité. L’extrême droite y verra une demi-victoire. Elle saura dès ce moment que sa victoire complète non seulement est possible mais désormais à portée de sa main.