Une des réalisatrices majeures du cinéma français revient sur la Croisette avec Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmai, et Assiatou Diallo Sagna, une soignante remarquable dans un film hors normes.
C’est la deuxième fois que Catherine Corsini est en compétition à Cannes, après «La Répétition» en 2001. Emblématique d’un cinéma d’auteur exigeant et intimiste, la réalisatrice change de registre dans «La Fracture». Elle interroge la crise sociale française dans un film choral autour des «gilets jaunes» et des personnels soignants, tout en parlant d’amour.
Si le sujet est grave, le film est d’une drôlerie irrésistible, avec Valeria Bruni Tedeschi, Marina Foïs, Pio Marmai, et Assiatou Diallo Sagna, une actrice non professionnelle, soignante remarquable, dans un film hors normes.
Mieux vaut en rire qu’en pleurer
Julie vient de rompre avec sa compagne Raf, qui fait une mauvaise chute. Elles se retrouvent toutes deux aux urgences, alors qu’affluent dans l’hôpital des blessés de la plus grosse manifestation de «gilets jaunes» à Paris. Elles y croisent Yann, très en colère, meurtri par une grenade policière.
La tension monte dans la capitale, les blessés sont en surnombre et l’hôpital est débordé : bienvenue dans la nuit la plus longue… On n’attendait pas Catherine Corsini sur un film aussi drôle avec un sujet social. Si l’on rit beaucoup, «La Fracture» n’est pas pour autant une comédie, ni une satire, ou une parodie. Les situations sont trop réalistes pour être de simples détournements. Elles semblent des anecdotes vécues dont «il vaut mieux rire que pleurer». Assiatou Diallo, aide-soignante, y joue son propre rôle. Au cœur de l’action, elle personnifie ce que vit le personnel soignant au jour le jour. Très applaudie, «La Fracture» fait évidemment écho à la pandémie.
Drôle de drame
S’il fallait qualifier «La Fracture», cela pourrait être un pamphlet drolatique. Pio Marmai, en chauffeur routier qui n’a pas déclaré son absence pour manifester, énervé contre Macron, contre les patients, contre l’hôpital, et Valeria Bruni Tedeschi, en amoureuse éconduite, font des numéros de pur délire qui mettent à rude épreuve les zygomatiques. Le film est au croisement de Hara-Kiri et des Monty-Python. Mais il est aussi traversé de drames et d’émotions fortes.
C’est à l’écriture de Catherine Corsini que l’on doit une telle perspicacité, cet humour dévastateur et l’émotion qui appuie là où ça fait mal. Sa mise en scène, virevoltante au cœur de ce chaos à huis clos de l’hôpital, le rythme dans lequel elle nous entraîne, évoquent «Drôle de drame» (1937) de Marcel Carné qui relève de l’absurde. Absurde dont le film n’est pas loin. Une vision de l’époque contemporaine qui touche juste, vécue et tournée à chaud, avec un œil critique et fécond, sans colère ni militantisme. Seulement une histoire habitée de vrais personnages filmés avec cœur. Chapeau ! La Palme ?
Jacky Bornet