Les robes noires ne décolèrent pas. Après un sit-in avant-hier, les avocats relevant de la cour d’Alger ont tenu, hier, sous la pluie, un rassemblement dans l’enceinte même de ladite cour pour réclamer le règlement de leurs problèmes professionnels, essentiellement celui du droit à la défense et celui du respect de la dignité de l’avocat dans l’exercice de ses fonctions. Des problèmes pour lesquels Me Mohamed Baghdadi, membre du Conseil national des avocats, a annoncé une réunion cette semaine avec le président et le procureur général près la cour d’Alger en vue d’une solution.
Par Lynda Naili
Rassemblés au niveau de la cour d’Alger dans la matinée pluvieuse d’hier, les avocats représentant les différentes tribunaux relevant de la compétence de la cour d’Alger, brandissant le drapeau national et entonnant l’hymne national, ont scandé «Non-respect des droits et lois», «Abus de droit», «Stop à la justice des instructions», «Pas de loi, pas de procès en l’absence des avocats», «Les avocats en colère refusent l’humiliation», «Pour une justice libre et indépendante»… Ce sont, entre autres, les slogans scandés par des centaines d’avocats.
A ce propos, Me Mohamed Baghadi, rendant publique la réunion tenue avant-hier avec les autorités judiciaires de la cour d’Alger, a estimé que «l’incident de Me Sellini est la goutte qui a fait déborder le vase» et constitue le «fait déclencheur de ce mouvement de protestation». Et de soutenir ainsi que «l’humiliation de Me Sellini est celle de l’ensemble des avocats». Ceci avant de longuement déplorer «les violations quotidiennes du droit de la défense». Un droit qui, dira-t-il, «n’est pas celui de l’avocat, mais celui des justiciables». Et de rappeler, dans ce contexte, que «le premier slogan porté par le hirak le 22 février 2019 est celui pour un Etat de droit». «Un slogan qui pour nous avocats, loin de toute orientation politique, consacre les droits à la défense que nous réclamons aujourd’hui pour une équité des procès, ce qui est un minimum pour le justiciable», ajoutera-t-il. Ainsi, il dira avoir précisé aux présidents des instances judiciaires que «nous ne sommes pas venus pour négocier mais pour faire part des décisions prises par le Conseil de l’Ordre, à savoir le report de l’affaire Sovac tel que demandé par le bâtonnier Sellini et une semaine de boycott de l’activité judiciaire, y compris celle relevant de la criminelle», soulignant, à ce sujet, que «d’autres actions seront projetées en cas de non satisfaction de nos revendications essentielles». Il annoncera ainsi au parterre d’avocats qu’«une rencontre se tiendra cette semaine avec le président et le procureur près la cour d’Alger pour évoquer toutes les préoccupations des avocats dans l’exercice quotidien de leur fonction».
Les avocats dénoncent la violation du droit de la défense
Auparavant et dans l’attente de cette communication de Me Baghdadi, approché en aparté, Me Saddek Chaib, membre du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau d’Alger, nous expliquera que «ces journées de protestation ne concernent pas que les violations quotidiennes mais aussi pour soulever tous les problèmes rencontrés dans la pratique de l’action judiciaire par tous les avocats de la défense sur le territoire national». Il s’agit, poursuivra-t-il, d’«attirer l’attention des autorités sur ces manquements qui touchent à l’exercice de la profession d’avocat, au droit de la défense et au droit de l’homme». «Ce sont des revendications purement professionnelles et qui n’ont rien à voir avec l’incident du bâtonnier Abdelamadjid Sellini. Cet incident reste en effet un parmi des milliers d’autres pour lesquels nous recevons quotidiennement des signalements pour dépassement», soulignera-t-il. Toutefois, se ressaisira-t-il, «cela ne veut pas dire que tous les magistrats ne respectent pas les avocats, mais le nombre important de dépassements font que la pratique judiciaire est rendue très difficile et les rapports le deviennent aussi». En outre, à une question sur le risque d’une politisation de ce mouvement, il répondra que «justement, nous faisons de notre mieux pour éviter toute récupération politique. Nous sommes une organisation apolitique». Et de considérer qu’«ici, il n’y a pas d’avocats du hirak, ni de corruption, il y a des avocats tout court, des avocats. On ne défend pas le crime, on défend des êtres humains. Nos revendications ne sont pas politiques. Nous sommes là pour aspirer à un Etat de droit, qui ne peut être construit que par le respect de la défense». De son côté, Me Malika Hamidi-Tadjni, membre du Conseil de l’Ordre des avocats, indiquera que «des revendications ont été exposées en présence du président de la cour d’Alger ainsi que du procureur général près de la même instance judiciaire. On attendra durant cette semaine l’évolution de la situation, et en fonction des revendications satisfaites, nous allons décider des actions à suivre». Pour sa part, Me Aouicha Bakhti indiquera que «des discussions entre le Conseil de l’Ordre et les autorités judiciaires ont eu lieu ; s’il n’y a pas satisfaction de nos revendications, la cadence de nos actions augmentera». Lesquelles revendications, poursuivra-t-elle, «concernent notamment le droit à la défense des justiciables, un droit régulièrement bafoué». Et de considérer que «l’incident de jeudi dernier (en l’occurrence l’altercation entre Me Sellini et le juge près la cour d’Alger, survenue lors du procès en appel de l’affaire Sovac, après que le juge ait refusé la demande de report exprimée par le collectif de la défense) est une atteinte à la corporation et au droit de la défense».
L. N.