Il y a quelques heures seulement, il n’était nulle part question d’une rencontre entre les deux ministres des Affaires étrangères russe et américain, et puis voilà qu’une est annoncée, qui doit avoir lieu à Genève demain vendredi. Ce qui était attendu par contre, du côté russe tout au moins, c’était les réponses écrites des Etats-Unis et de l’Otan aux demandes de garanties sécuritaires exigées par la Russie, dont celle, mais elle n’est pas la seule, que jamais ni l’Ukraine ni la Moldavie ne deviendraient un jour membres de l’alliance militaire occidentale. Avant de se rendre à Genève, Antony Blinken devait être à Kiev, puis à Berlin, pour se concerter avec les alliés européens. Ce détour lui prendrait deux jours pleins, ce qui en dit long sur l’importance que la diplomatie américaine accorde à ce qui est appelée la crise ukrainienne, ou russo-ukrainienne, mais qui en réalité dépasse de loin la tension existant entre ces deux pays. A noter qu’il n’y a pas que les Américains qui veulent discuter avec les Russes avant qu’il ne soit trop tard, mais également l’Otan, qui jusque-là a surtout paru outrée de ce que les Russes osent lui demander : non seulement d’arrêter son élargissement à l’est de l’Europe, mais de retirer ses forces déjà déployées sur les territoires des anciens membres du Pacte de Varsovie.
Ce branle-bas diplomatique du côté occidental, tout indique qu’il est dû au fait que non seulement la Russie n’a eu aucun geste de désescalade attendu d’elle, en faisant par exemple reculer loin de la frontière avec l’Ukraine les troupes qu’elle y avait massées, mais elle a fait juste le contraire, d’une part en les renforçant, et de l’autre en en envoyant d’autres prendre position chez l’allié biélorusse. Ce qui a fini par convaincre les Occidentaux qu’une invasion de l’Ukraine était désormais une affaire de quelques jours. «Nous sommes à un stade où la Russie peut à tout moment lancer une attaque sur l’Ukraine», vient de dire Jen Psaki, la porte-parole de la Maison-Blanche. Des propos qui laissent penser que l’urgence de la diplomatie américaine est justement de tout faire pour que cette attaque ne se produise pas. Cela fait déjà quelques jours que les médias américains répètent que s’il y a une invasion russe, elle interviendra entre la mi-janvier et la mi-février, cet intervalle de temps étant considéré comme une fenêtre d’opportunité pour des opérations militaires hivernales. Quoi qu’il en soit, c’est bien le moment choisi en 2014 par les Russes pour annexer la Crimée. Si cela est vrai, alors, en effet, il n’y a plus de temps à perdre. Il faut redoubler d’efforts auprès des Russes pour les amener à de meilleurs sentiments, sans pour autant céder à leurs exigences «irréalistes», comme les Occidentaux sont unanimes à qualifier leurs demandes de sécurité. On ne voit pas comment cela serait possible. Comment convaincre les Russes de revenir à la diplomatie sans commencer soi-même par lâcher du lest ? Or la menace russe en Ukraine n’est peut-être pas la seule que les Etats-Unis et leurs alliés ont à prendre en considération. La grande question qu’ils se posent sans doute dans leur tréfonds est de savoir si une attaque de la Russie ne sera pas suivie par une invasion de Taïwan par la Chine, et dans le même temps par quelque offensive de Pyongyang dans son environnement immédiat. Et encore ne s’agit-il là que d’une série minimale. Un alignement comportant un plus grand nombre de planètes n’est pas à écarter. Les Occidentaux ont l’air de ne regarder que dans la direction de l’Ukraine. Soyons convaincus que l’air de rien ils sont en train de loucher dans plusieurs directions à la fois. Ils ont raison, car il est rare qu’un malheur arrive seul.