Toute personne intéressée au cours des événements en Tunisie depuis la journée du 25 juillet de l’année dernière, qui a vu le président Kaïs Saïed tout à la fois suspendre le Parlement et renvoyer le gouvernement, savait bien qu’un processus irréversible était ainsi enclenché. Celui-ci ne pouvait conduire qu’à l’une ou l’autre possibilité : soit à la dissolution d’Ennahdha, soit au renversement de Saïed, menant à son tour à une nouvelle élection présidentielle. Les décisions prises ce jour-là sont en effet d’une nature à ce point exceptionnelle qu’elles ne laissaient pas place à une solution intermédiaire, en vertu de laquelle il y aurait retour à la situation d’avant, avec un Parlement entièrement restauré et un chef de l’Etat demeurant néanmoins en poste. Pendant longtemps on pouvait s’interroger, encore qu’il fût possible à peu près dès le début de la crise de se guider en cela sur des indices assez concordants, sur l’issue qui au bout du compte se concrétisera. Depuis quelques jours, cette question ne se pose plus, en tout cas plus dans les mêmes termes. L’ouverture par la Justice du dossier des jeunes tunisiens recrutés et envoyés pour prendre part à la guerre en Syrie, mais aussi en Irak, et à un moindre degré en Libye, ne laisse plus de doute quant à la détermination non plus seulement du président Saïed, mais de l’Etat tunisien lui-même, d’en finir avec Ennahdha, en raison de son implication dans ce dossier. Au plus fort de la crise en Syrie, lorsque les jours du régime en place semblaient comptés, il n’y avait certes pas que les djihadistes tunisiens pour y affluer en grand nombre, et s’engager aux côtés des groupes islamistes en guerre, dont beaucoup allaient se fondre pour donner naissance à Daech. Bien au contraire, il en provenait de partout, de tous les continents, encore que ce soit d’Europe plus particulièrement, une affluence qui en son temps avait d’ailleurs défrayé la chronique. Mais depuis le monde arabe, il avait été vite remarqué que le plus grand contingent, et de loin, provenait sans conteste de Tunisie, où comme par hasard le pouvoir était tombé dans les mains d’Ennahdha, une formation islamiste à vocation hégémonique. L’idée qu’il y avait là un lien direct de cause à effet était apparue dès ce moment. Dans des cas ressortant au terrorisme à l’intérieur de la Tunisie, notamment les assassinats de Belaid Chokri et Mohamed Brahmi, Ennahdha avait été abondamment mise en cause. Depuis le temps qu’elle traînait cette casserole infernale, il devait bien arriver un jour où elle serait obligée de passer au crible à cet égard. Voilà qui maintenant est fait. Il ne s’agit plus de demander des comptes dans le dossier du « tasfir » (recrutements à des fins d’envoi dans les pays arabes en guerre) à des soldats du rang ou à des sous-fifres au sein d’Ennahdha ou dans sa périphérie, mais à sa direction elle-même, y compris à son leader Rached Ghannouchi, ainsi qu’à ses subordonnés directs, au premier rang desquels Ali Larayedh, ancien Premier ministre et deuxième personnage au sein de la formation. On sait que les deux hommes ont été convoqués dernièrement par l’unité de recherche dans les affaires liées au terrorisme pour y subir des interrogatoires, que le leader d’Ennahdha a pu quant à lui en sortir, toutefois pour y retourner novembre prochain, mais pas son second, maintenu en garde à vue, du moins à ce qu’il semble. Toujours est-il que l’on sait maintenant que des deux possibilités en question, à savoir la dissolution d’Ennahdha ou le renversement de Saïed, c’est la première qui a incomparablement plus de chance de se réaliser.