Si, s’agissant de la Tunisie, il n’est pas facile de voir venir les événements, à moins de deux semaines du tournant du 25 juillet, il est possible néanmoins d’écarter avec une quasi-certitude ceux qui n’ont aucune chance de se produire, à moins d’un complet retournement de conjoncture, dont le premier à faire les frais serait le président Kaïs Saïed lui-même. Quand on ne peut se guider sur des faits positifs, on peut du moins s’en remettre à ceux qui dans le contexte en question manquent toujours à l’appel. S’il y avait des troubles en Tunisie, ou mieux encore, un vaste mouvement de protestation appelant au retour à la situation d’avant le 5 juillet, selon les vœux de bien des oppositions, à ce moment oui, il deviendrait facile de faire des prédictions, c’est-à-dire de devancer les événements. Il n’y aurait d’ailleurs dans ce cas qu’à regarder dans la direction qu’ils indiqueraient pour s’y reconnaître. Pour avoir des réponses à ses questions. Quelque chose qui n’a pas lieu, mais qui aurait pu se produire, n’est pas moins significatif d’une situation que quelque chose d’autre également en rapport avec celle-ci mais qui serait quant à lui réellement advenu. Dans l’examen d’une réalité quelle qu’elle soit, on ne relève pas seulement ce qui arrive mais tout autant ce qui n’arrive pas mais qui aurait pu ou même dû arriver.
Comme le calme règne en Tunisie, en l’occurrence la donnée la plus importante, celle qui commande pour l’essentiel le cours présent et futur des événements, il y a gros à parier qu’il n’y aura pas de retour à l’avant-5 juillet. C’est-à-dire que ni dans un mois ni dans deux, ni même dans trois, la suspension du Parlement ne sera levée. Plus tôt les opposants tunisiens aux mesures exceptionnelles prises par le président Saïed se seront faits à cette idée, plus vite sera le retour à l’ordre constitutionnel. Toutefois à un ordre constitutionnel qui ne sera pas le même que celui d’avant le 5 juillet. La crise actuelle était inscrite dans la lettre comme dans l’esprit de la Constitution de 2014. Dans un régime parlementaire, le chef de l’Etat n’est pas élu au suffrage universel, comme en Tunisie. Un président choisi par la majorité du peuple mais qui n’a aucune prise sur la politique interne du pays sera toujours tenté de faire ce qu’a fait Kaïs Saïed. Quand bien même la majorité parlementaire lui serait acquise. Ce qui est loin d’être le cas pour lui, et qui explique qu’il n’ait pas longtemps attendu avant de passer à l’action, conformément du reste à ce qu’il avait dit auparavant qu’il ferait s’il était élu. Ceux, Tunisiens ou non, qui s’intéressent à la vie politique tunisienne, n’ont pas été pris au dépourvu par la chose en soi, mais par les formes qu’elle a prises. Ils s’étonnaient même qu’elle ne fût pas déjà là. Un président qui a pu suspendre le Parlement, remercié le chef du gouvernement, dépouillé les députés de leur immunité, sans que le ciel lui tombe sur la tête, a prouvé par là même qu’il n’était pas en déphasage avec son opinion, qu’il jouissait même de son soutien. Et c’est de ce même président que certains, dont l’UGTT, attendent qu’il fasse connaître dès aujourd’hui à quel moment il restaurerait un ordre constitutionnel qu’il juge à ce point dangereux pour son pays qu’il l’a suspendu dès que les circonstances le lui ont permis. La feuille de route de sortie de crise qu’ils lui demandent, mais à voix basse, n’a aucune chance de voir le jour. A cet égard tout au moins, l’UGTT retarde sur les événements.