Comme par hasard, des trois scénarios possibles touchant la participation au référendum du 25 juillet sur une nouvelle Constitution en Tunisie, c’est le moins éclairant qui s’est réalisé, celui d’une participation moyenne, laissant la porte ouverte à toutes les éventualités. En apparence tout au moins, car se tenant une année entière après le renversement du régime dominé par les islamistes, et au terme d’une longue période à la fois de préparation et d’observation, probablement il ferme une parenthèse plutôt qu’il n’en ouvre une autre. D’une certaine façon, les jeux sont faits du seul fait qu’il ait pu avoir lieu. Et si ce n’est pas le cas, il appartient aux partis qui étaient au pouvoir et qui ne le sont plus d’en apporter la preuve, de montrer que la partie n’est pas terminée, qu’eux-mêmes n’ont pas encore jeté toutes leurs forces dans la bataille, qu’il leur en reste qu’ils n’ont pas encore employées. Le Président Saïed l’a annoncé le soir même de ce lundi fatidique, la prochaine étape, c’est l’adoption d’une nouvelle loi électorale, puis cap sur les élections législatives, qui elles constitueront le vrai point final de la transition.
Il va sans dire que ce n’est pas ainsi que l’entendent les opposants, ou les oppositions, encore qu’on ait des raisons de se servir du singulier en l’espèce. Avant que Kaïs Saïed ne décide de l’achever, le régime établi par la Constitution de 2014 était condamné à plus ou moins brève échéance. C’est qu’il permettait une aberration, qu’un parti loin de disposer de la majorité, le nombre de ses représentants étant moitié moins, règne en maître. Du haut de son perchoir à l’Assemblée, son chef, Rached Ghannouchi, concentrait entre ses mains bien plus de pouvoir que le chef de l’Etat, pourtant élu au suffrage universel, et à qui étaient réservées à la fois les questions de sécurité et la politique étrangère. Il était fatal dans ces conditions qu’arrive un moment où ce président, en particulier s’il est bien élu, se révolte contre un partage des prérogatives l’acculant à l’impuissance en matière de politique intérieure. Ce dont se plaignait seulement le premier président élu sous la Constitution de 2014, Béji Caïd Essebci, le deuxième, Kaïs Saïed, n’a pas attendu longtemps avant d’entreprendre de le corriger. Ce n’aurait pas été le deuxième, ç’aurait été son successeur, le troisième, à supposer que ce ne soit pas lui, qui a droit à un deuxième mandat. La crise ayant éclaté le 25 juillet 2021 était inscrite dans la Constitution de 2014. A terme elle était inévitable. Mais il n’était pas dit qu’elle éclate un jour plutôt qu’un autre. Ce qui l’a précipitée, ce sont les législatives d’octobre 2019, ou plus exactement, le score réalisé à cette occasion par la principale force politique du pays, Ennahdha, très loin ne serait-ce que de s’approcher de la majorité parlementaire. La crise n’aurait probablement pas éclaté l’année dernière si les islamistes jouissaient à ce moment d’une majorité réelle, qu’ils comptaient dans l’Assemblée un nombre suffisant, ou décent, de députés. Ennahdha dirigeait le pays avec 54 sièges, alors qu’il lui en fallait au moins 209 pour ce faire. Il ne serait pas exagéré de dire qu’elle disposait des pleins pouvoirs, l’Assemblée étant alors le vrai centre du pouvoir, à ce point d’ailleurs qu’elle avait conçu le projet de renverser le président de la République. Si Saïed ne l’avait pas prise de vitesse, c’est elle qui l’aurait renversé. De sorte qu’on peut dire qu’en prenant les mesures qu’il a prises le 25 juillet de l’année dernière, il n’a fait que défendre son mandat et le choix du peuple s’y rapportant. Voilà qui est fait.