Parce qu’elle a été prévisible, en même temps que rapide, la séquence en entier n’ayant pris que six semaines, un record de brièveté dans la longue succession des Premiers ministres britanniques, la démission de Liz Truss peut donner la fausse impression d’être simple, de n’exiger aucun effort particulier de compréhension. Un second couteau s’est retrouvé à la tête du gouvernement de Sa Majesté à la faveur d’une crise interne de son parti, d’une certaine façon donc par effraction, qui n’a eu ensuite le temps de rien, pas même de mal faire, avant de devoir rendre son tablier. Liz Truss n’est pas restée assez longtemps au pouvoir pour apporter la preuve de son incompétence, ou au contraire de sa compétence. Elle a jeté l’éponge au bout de six semaines d’agitation des marchés financiers en réaction à une annonce (pas même donc à une mesure, ou à un projet de loi) faite par son ministre des Finances, laquelle se recommande non pour son originalité ou sa nouveauté mais pour son orthodoxie libérale : baisser les impôts en vue de relancer la croissance. S’il existe un article de foi chez les libéraux, un sentier mille fois battu par eux, c’est bien celui-là : alléger le poids de la fiscalité pesant sur les classes aisées pour faire repartir l’économie. C’est pour avoir défendu sans désemparer cette politique économique qu’elle-même est devenue chef de son parti, et par la même occasion celui du gouvernement. Mais entre le moment où cette politique était gagnante et celui où elle est devenue indéfendable et désastreuse, il s’est passé 42 jours seulement. Il est vrai, 42 jours de chute de la livre sterling et de ventes massives sur les marchés financiers des gilts, les obligations d’Etat britanniques, sans même parler d’une vague de grèves persistante. Pour la première fois, il y a eu comme une jonction d’intérêts entre les salariés et les marchés financiers, ce qui ne s’est jamais vu, et qui surtout est dangereuse. S’il n’y avait eu que les grèves, Liz Truss n’aurait eu qu’à montrer de quel bois elle se chauffait, elle une admiratrice de Margaret Thatcher, et sûrement les conservateurs se seraient empressés de faire bloc autour d’elle. Mais les marchés, en principe des alliés, se sont soulevés à leur manière, faisant à la fois tomber la monnaie et monter les taux d’intérêt, obligeant la banque d’Angleterre à intervenir à deux reprises pour empêcher la catastrophe d’advenir. Il faut que rien n’aille vraiment pour qu’une mesure annulée avant de connaître un début d’application suscite une telle émotion. De fait, on ne s’explique pas encore le mal à l’origine du début de panique s’étant emparé des marchés financiers. Tout ce que l’on sait c’est qu’il est à l’œuvre et qu’il faut se garder de rien faire qui puisse l’attiser. Une Première ministre n’a pas eu le temps de bien s’installer dans ses fonctions, qu’à cela ne tienne, sacrifions-la pour voir si cela est de nature à calmer cet agent mystérieux, ce fauteur de trouble non encore élucidé. Elle n’est vraisemblablement pour rien dans ce qui les agite, mais cela ne coûte rien de la leur jeter en pâture, serait-ce pour voir leur réaction. Peut-être qu’ils vont se contenter de ce qui leur est offert. Ou peut-être que non, qu’ils vont exiger plus, une autre éviction, une autre immolation, dans ce cas forcément celle du prochain Premier ministre, celui qui devra être élu par les militants conservateurs dès vendredi prochain, selon le calendrier donné par Liz Truss. Il se peut que ce prochain Premier ministre ne soit autre que Boris Johnson, qui ainsi n’aura quitté le poste que pour y être bientôt rappelé. Dans ce cas d’ailleurs, ce serait au risque d’en être à nouveau chassé. On ne saura qu’un Premier ministre est là pour durer au moins jusqu’aux prochaines élections générales que si les marchés ont cessé toute agitation.