Pour la première fois dans l’histoire de la Colombie, un président de gauche, en l’occurrence Gustavo Petro, ancien guérillero du mouvement M-19 mais aussi ex-maire de Bogota, peut l’emporter lors de la présidentielle dont le premier tour est prévu pour aujourd’hui 29 mai. En lice, une dizaine de candidats incarnant l’échiquier politique colombien, traditionnellement ancré à droite, ce qui est loin d’être la règle en Amérique latine, avec des chances de l’emporter qui évidemment sont inégales de l’un à l’autre. La partie va en fait se jouer entre deux d’entre eux, à s’en tenir à des sondages qui sur ce point n’ont guère varié, à savoir leur favori Gustavo Petro, le représentant du Pacte historique, le bloc des gauches, et Federico Gutièrrez, le représentant des formations coalisées du centre, lequel cependant n’arrive que 10 points derrière le premier. Il n’est pas à exclure, encore que cela ne soit pas le scénario le plus probable, qu’un troisième homme, Rodolfo Hernandez, un sans-parti concourant sous la bannière de la Ligue Anticorruption, crée la surprise lors de ce premier tour en coiffant au poteau l’un ou l’autre des deux compétiteurs arrivés en tête des sondages.
Le cas échéant, ce ne serait pas sans effet sur les résultats du deuxième tour, compte tenu du fait que l’élection ne se tranchera pas à l’issue du premier tour, mais du deuxième, devant se tenir quant à lui en juin prochain. Il semble que dans le cas d’un deuxième tour opposant Petro et ce troisième homme qu’est Hernandez, la victoire du premier soit moins assurée que s’il affrontait Gutièrrez, pourtant le favori de droite. La victoire annoncée de Petro, pour exceptionnelle qu’elle soit dans un pays comme la Colombie, depuis toujours allié inconditionnel des Etats-Unis, qui y disposent de plusieurs bases militaires, et où les assassinats de militants de gauche sont monnaie courante (des dizaines rien que cette année), n’en sera pas moins en droit fil de l’arrivée au pouvoir ces derniers mois de plusieurs leaders de gauche sur le continent. Ce fut le cas au Mexique, en Argentine, au Pérou, en Bolivie, au Chili, et prochainement au Brésil, où en effet tout milite en faveur du retour de Lula à la tête de l’Etat. La victoire de Petro ne sera pas seulement une défaite de portée historique pour la classe politique traditionnelle de la Colombie, mais tout autant sinon plus pour les Etats-Unis, qui risquent de son fait de perdre un de leurs meilleurs alliés dans la région. C’est qu’être à gauche en Amérique du Sud implique pour l’essentiel deux choses : la redistribution des richesses nationales en faveur des classes pauvres et l’hostilité envers la prédominance étatsunienne sur le continent. Le programme de Petro se prononce clairement relativement au premier point, mais reste vague par rapport au second, sans doute pour éviter de se faire avant l’heure un ennemi déterminé des Etats-Unis. Pour autant, on voit mal comment un pays où les groupes paramilitaires d’extrême droite restent particulièrement actifs accepter de se laisser gouverner pour la première fois de son histoire à gauche, au motif que telle a été la volonté de la majorité des électeurs. Il faudrait pour cela que la Colombie soit déjà passée par une révolution politique.