L’une des toutes premières décisions prises par le président tunisien, Kaïs Saïed, après avoir annoncé la suspension du Parlement et le renvoi du gouvernement en place le 25 juillet dernier, ce fut la fermeture du bureau d’el-Jazira. Comme il ne s’est passé que quelques heures entre les deux types de suspension, celles des deux institutions tunisiennes et la fermeture de la chaîne qatarie, on peut dire sans grand risque de se tromper qu’elles font partie de la même batterie de mesures conçues et mises en œuvre ce jour-là. El-Jazira a été suspendue avant même d’avoir commencé le grand jeu au nom de la démocratie déjà déployé par elle en Tunisie en 2011, et partout ailleurs où l’ainsi-nommé Printemps arabe avait pris. Sa réputation de grande déstabilisatrice des Etats arabes n’étant plus à faire, le pouvoir tunisien a pris soin cette fois-ci de l’exclure avant même qu’elle ait eu le temps de sévir contre lui et ses projets. Sage précaution que les militaires soudanais n’ont pas prise dès le 25 octobre, l’équivalent du 25 juillet tunisien, mais avant-hier seulement. Mais alors ils n’y sont pas allés de main morte. Non seulement ils ont fermé le bureau de la chaîne mais ils ont arrêté son chef, un peu comme s’ils voulaient se rattraper.
Les pays arabes du Golfe, l’Arabie saoudite la première, auront tout fait pour amener le Qatar, soit à fermer purement et simplement une chaîne d’autant plus dangereuse qu’elle est sans exemple, et pas que dans le monde arabe, soit à la normaliser, en lui interdisant en particulier de s’attaquer à eux. Sans doute el-Jazira aujourd’hui surveille-t-elle son langage quand il s’agit de l’Arabie saoudite, mais à ce qu’il semble également de l’Egypte, de peur non pas d’une nouvelle suspension la concernant en propre, mais de la suspension de son propriétaire lui-même, c’est-à-dire le Qatar, de l’organisation des pays du Golfe. Mais c’est pour s’en prendre sans retenue aucune et à tout propos aux Emirats arabes unis, sans doute à titre de compensation. Le Soudan est le deuxième pays arabe à fermer tout récemment le bureau d’el-Jazira, par crainte de ses capacités à entretenir la discorde là où elle s’est déclarée. Il est probable qu’à l’avenir d’autres pays arabes en viennent à la même mesure de précaution dès lors que les nuages commencent à s’amonceler dans leur ciel. El-Jazira fête cette année son premier quart de siècle en tant qu’agitateur professionnel ayant le monde arabe pour terrain de prédilection. En cela, elle reste sans rivale, bien que les imitateurs, ou les imitatrices, n’aient pas manqué entre-temps. France 24 par exemple a été créé pour lui donner la réplique dans des pays comme le nôtre. Il ne semble pas qu’elle ait réussi. Son bureau à Alger a quand même été fermé. Aucune des chaînes d’information en continu de même calibre qu’el-Jazira, américaines notamment, qui à l’origine sont son modèle, n’a porté au même point qu’elle la confusion entre rapporter l’événement, à quoi un médium devrait se borner, et s’y inscrire, s’en mêler en vue d’en prendre le contrôle, de l’orienter dans la direction voulue – voulue par le propriétaire bien entendu. Pourvue de capacités humaines et matérielles la rendant sans véritable concurrent dans les pays arabes, elle est capable, si on la laisse faire, de jouer sur les deux tableaux avec une habilité certaine. Une crise où elle est laissée libre de ses mouvements ne se développe pas de la même façon qu’une autre dont elle est rapidement exclue.