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mercredi 29 mars 2023

Dissentiments

Au tout début, c’est-à-dire avant le 24 février, quand les forces russes n’avaient pas encore franchi les frontières avec l’Ukraine, Américains et Ukrainiens, bien que très amis et qu’ils se concertent beaucoup, n’avaient pas exactement la même perception des événements en cours. Volodymyr Zelensky, à la veille de l’invasion, en était même venu à demander non sans agacement aux Américains d’arrêter de dire qu’elle était imminente. Que l’effet de cette annonce était désastreux sur l’économie de son pays, qu’en particulier elle faisait fuir les capitaux et fondre les réserves d’or. Que lui-même et les siens connaissant leurs Russes sur le bout des doigts savaient mieux que quiconque quand ils s’apprêtaient à attaquer et quand ils faisaient seulement semblant de nourrir cette intention. On sait maintenant qui à cet égard avait raison et qui avait tort. Par la suite, une fois la guerre commencée, un autre non pas désaccord à proprement parler mais dissonance était apparue entre les deux alliés : les Ukrainiens ayant d’abord cru à un coup de bluff de la part des Russes et voyant qu’il n’en était rien, voulaient tout de suite en entrer en négociation avec les Russes. Ils étaient même disposés alors, pour arrêter l’invasion, à bien des concessions qu’ils rejettent maintenant sans appel et en bloc, comme de concéder aux Russes des territoires qu’ils occupaient déjà ou qu’ils allaient conquérir. C’était en particulier le conseil que leur donnait quelques-uns de leurs amis américains, dont Henry Kissinger, dont on peut voir à présent combien il précédait les événements. Dans le même temps qu’il préconisait une solution négociée, serait-elle douloureuse pour l’Ukraine, l’ancien secrétaire d’Etat américain critiquait par la bande la politique ukrainienne de l’administration Biden, qu’il trouvait dangereuse, excessivement va-t-en- guerre. On sait que Zelensky l’avait alors traité de munichois, ce qui n’avait plu à personne aux Etats-Unis, où Kissinger est depuis longtemps entouré de respect, même si on avait préféré, eu égard aux circonstances, laissé passé cet écart de langage. Mais on peut dire que dès cet instant Zelensky, lui qui avant le 24 février avait déjà houspillé Biden, lui demandant d’arrêter d’annoncer la guerre, avait aux yeux des Américains dépassé la mesure. Mais alors, c’est-à-dire au début de la guerre, les Américains ne voulaient pas entendre parler de négociation. Ils l’avaient fait savoir aux Ukrainiens, non pas directement, mais par l’intermédiaire de Boris Johnson, alors Premier ministre britannique, qui s’était déplacé à Kiev pour en dissuader ses interlocuteurs, en leur disant entre autres que s’ils passaient outre ses conseils ils perdraient tout soutien de la part de l’Otan. Aujourd’hui, après plus de huit mois de guerre, à nouveau Américains et Ukrainiens ne sont pas sur la même longueur d’onde, les premiers voulant des seconds qu’ils se préparent à la négociation, et à cet effet d’arrêter dès à présent de formuler des demandes impossibles à satisfaire. Ce que les Ukrainiens pour le moins regardent avec beaucoup de répugnance. Si les Américains en sont arrivés à vouloir aujourd’hui ce qu’ils refusaient hier, c’est que pour eux une guerre, ce n’est jamais qu’une sorte de préambule à la négociation. Une bonne guerre, si l’on peut dire, ne s’éternise pas ; et celle-ci commence à s’étirer dans le temps. Les Ukrainiens, leurs alliés, d’autres diraient leur chair à canon, se sont certes bien battus. Pour autant ils ne peuvent pas la gagner car ils la mènent contre beaucoup plus fort qu’eux. Malgré l’aide qu’eux-mêmes et les Européens leur apportent en termes d’armes, de renseignement et de financement, et qui commence à se faire désagréablement sentir.

Mohamed Habil

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