On sait comment une guerre commence, on ne sait pas comment elle se développe, et encore moins comment elle se termine, à supposer qu’elle se termine d’ailleurs. Car il arrive aussi, et c’est même le cas le plus fréquent, qu’elle mute en quelque autre forme de conflit, sinon en plusieurs, si notamment dès le départ elle présente une dimension mondiale avérée. Ainsi de la guerre en Ukraine, à l’évidence un tournant dans l’histoire de l’Europe, aux confins de laquelle elle se déroule, et celle du monde, que ses effets ne manqueront pas d’affecter, plus ou moins profondément selon les pays et les régions, et probablement en des temps différents, dont personne ne peut prévoir ne serait-ce que les suites immédiates. A priori de deux choses l’une, ou bien la Russie la gagne, au bout d’un temps pas trop long, et alors le conflit retournera à son état premier : une conséquence du désir du pouvoir ukrainien actuel de rejoindre l’Otan, et à la volonté de cette dernière de l’admettre en son sein. Car on n’en serait pas là si l’Otan lui avait suffisamment fait comprendre qu’il ne serait jamais un de ses membres. Si ce pouvoir ukrainien n’avait pas agi depuis maintenant plusieurs années en haine de la Russie, il aurait accepté facilement de faire droit à l’opposition de celle-ci à son intégration dans l’Otan.
La neutralité, c’est tout ce qui lui demandait la Russie, et que beaucoup de personnalités politiques et d’intellectuels en Occident, dont des amis, lui avaient vivement conseillé. L’élargissement à l’est de l’Otan, voilà la véritable cause de cette guerre, à même de devenir nucléaire et mondiale. Ou bien au contraire, la Russie n’arrive pas à la gagner, et dans ce cas, il ne fait pas de doute qu’elle ne restera pas confinée à l’Ukraine. S’il y a recours au nucléaire tactique de la part de la Russie, ce ne sera pas avant mais après l’élargissement de la guerre à l’ouest. Ce n’est pas par l’Ukraine que la Russie est menacée dans sa sécurité et même dans son intégrité territoriale, mais par l’Otan, ou plutôt par les Etats-Unis, qui entendent entraîner tous leurs alliés européens, et non européens d’ailleurs, dans cette guerre en vue de son démembrement, un vieux projet fort bien connu de l’impérialisme américain. Mais ce cas suppose que pour leurs alliés les désirs des Etats-Unis sont des ordres. En réalité, les 30 membres de l’Otan ne sont pas sur la même longueur d’onde vis-à-vis de la Russie. Il en est même qui ont des sympathies pour elle. On peut penser que le moment venu ils ne voudront pas d’une guerre avec elle. L’Otan n’est pas une armée mais une alliance militaire. En son sein, il s’en trouve qui sont profondément antirusses, et qui en effet aspirent à lui infliger une « défaite stratégique », c’est-à-dire une défaite dont elle ne se relèvera pas, qui entraînera son effondrement final, quelque trois décennies après celui de l’Union soviétique. Mais il en est autrement d’autres, qui eux ne voient pas en elle l’ennemi principal, l’ennemi à abattre. On ne s’engage pas dans une guerre juste parce qu’on fait partie d’une alliance militaire et que celle-ci a vu qu’il était de son intérêt d’y entrer. Si l’Otan opte pour la guerre, selon toute apparence ce ne sera pas avec ses membres au grand complet et en bon ordre. On verra alors qu’elle est composée de nations, de chair humaine et d’histoire, et que toutes n’ont pas le même rapport à la Russie. Ce qui est heureux, car cela est de nature à entraver l’élargissement de la guerre à l’Europe. Mais si la guerre reste confinée sur le territoire ukrainien, tôt ou tard la victoire reviendra à la Russie.