Parce qu’elles interviennent en même temps, et par conséquent dans le même contexte, celui de la guerre en Ukraine, on croirait tout naturellement que les demandes d’intégration à l’Otan de la Finlande et de la Suède, deux pays ayant suivi jusque-là une politique de neutralité dans le conflit opposant la Russie à l’Otan, sont motivées par les mêmes objectifs d’ordre sécuritaire. Et l’on se tromperait. Car s’il est évident que pour la Finlande la menace vient de la Russie, qui en envahissant l’Ukraine a bouleversé un modus vivendi vieux de plusieurs décennies, il n’en est pas de même pour la Suède, pour qui il s’agit surtout de rester en harmonie avec les pays de son entourage, tous membres de l’Otan. L’hostilité de la Finlande envers la Russie est beaucoup plus marquée, même si ni l’une ni l’autre n’ont rien eu à lui reprocher pendant ces décennies passées pour ainsi dire en tête à tête avec elle. La première semble ravie que les circonstances lui permettent enfin de réaliser un rêve longtemps caressé : frapper ouvertement à la porte de l’Otan, sans la crainte de subir à l’instant les foudres de la Russie. Son président s’est même offert le plaisir d’appeler son homologue russe pour l’en informer, faisant passer ce geste pour un gage de respect envers lui et son peuple.
Il ne l’aurait pas eu si la Russie avait fait preuve de brutalité quand la Finlande ne pouvait compter que sur ses propres forces pour la tenir en respect. Parlant de l’échange qu’il a eu alors avec Vladimir Poutine, Sauli Niinistö a tenu à relever qu’il avait été surpris par le calme et la courtoisie qui l’avaient empreint de bout en bout. Ce qui montre bien qu’il s’attendait à ce que le président russe le prenne mal au contraire et se répande en menaces. Vraisemblablement c’est ce que lui-même recherchait ; il y avait en tout cas comme une nuance de regret à ce moment dans son propos. Rien de tel par contre chez les sociaux-démocrates suédois, dont la neutralité est bien plus proche du non-alignement que du côté des Finlandais dans leur ensemble. La première chose qu’ils aient tenu à dire, c’est que la neutralité observée jusque-là par leur pays a parfaitement servi ses intérêts en matière de sécurité. Si donc ils préconisent son abandon aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’elle n’avait pas rempli son objet, mais parce que les temps et leurs impératifs ont changé. Ce que la neutralité garantissait, aujourd’hui seule l’appartenance à l’Otan peut l’assurer. C’est alors qu’intervient l’argument principal : la Suède ne peut désormais rester en dehors de l’Otan quand tout son environnement y est. Sa sécurité s’en trouverait alors menacée. Sûrement pas par la Russie, qui a toujours respecté sa neutralité. Mais alors par qui ? Qui dans la nouvelle donne ne veut pas la voir neutre et moins encore non-alignée ? A l’évidence l’Otan, ses voisins et leur leader à tous, les Etats-Unis. Dans le contexte actuel, la neutralité est un luxe que la Suède ne peut plus se permettre. Il lui faut choisir, être avec les Etats-Unis ou contre eux. C’est ce qu’elle fait, contrainte et forcée, en rejoignant le camp des Etats-Unis, d’autant qu’elle a toujours été proche de ces derniers et de l’Otan. Pour preuve toutefois qu’elle ne saute pas le pas de gaieté de cœur, comme sa voisine la Finlande, ce sont les conditions qu’elle pose déjà à cet alignement, si contraire à sa nature : pas d’armes nucléaires ni même de bases permanentes de l’Otan sur son territoire.