C’est à Philadelphie, une ville qui a tant compté dans la fondation des Etats-Unis, que Joe Biden est allé, il y a de cela seulement deux jours, prononcer un discours de remobilisation de son camp en vue des batailles futures, moins d’une année d’une présidentielle âprement disputée, mais finalement largement remportée par lui. On aurait pu pourtant croire que le plus dur était déjà passé, d’autant que la confrontation avait débouché sur quelque chose d’unique dans l’histoire de ce pays, l’envahissement du Capitole par un groupe de partisans du perdant de cette élection, Donald Trump. La catharsis s’étant faite à cette occasion, l’apaisement des esprits devait nécessairement s’ensuivre. Ce n’est pas cette opinion qui a été défendue ici, mais celle qui au contraire faisait de la violation du Capitole non pas une conclusion, mais l’amorce d’une période grosse de dangers pour la stabilité interne de la plus grande puissance au monde. Le discours tenu à Philadelphie mardi dernier par le président américain ne la contredit en rien, tout au contraire il la conforte. Il serait même par certains côtés plus pessimiste qu’elle. Joe Biden est allé dire à ses partisans qu’il ne leur suffit pas d’avoir gagné la dernière présidentielle, qu’il faut encore défendre cet important acquis en remportant la bataille des élections de mi-mandat de l’année prochaine.
Sans quoi ce ne serait pas seulement leur défaite à eux, et par contrecoup la victoire de leurs adversaires, mais la fin de la démocratie américaine qui en résulterait. Lorsqu’on est porteur d’un message de cette nature, qu’on veut alerter ses concitoyens sur un péril imminent, et qu’on est un patriote américain, Philadelphie est le lieu tout indiqué pour cela. Joe Biden a raconté qu’en Europe où il s’était trouvé dernièrement, des interlocuteurs lui avaient demandé en aparté si tout allait bien aux Etats-Unis. Jusque-là ce n’était pas eux, la citadelle de la démocratie, qui donnaient des craintes ; désormais, aurait-il pu ajouter, l’homme malade, c’est eux. La plus disputée des présidentielles depuis la fondation des Etats-Unis, celle qui a enregistré la plus forte participation de leur histoire, pourrait bien être la dernière élection «free and fair» qui y soit organisée. Pour qu’une chose pareille arrive, il suffirait que les Etats dominés par les républicains, eux-mêmes à la botte de Donald Trump, continuent d’adopter des lois limitant le droit de vote, à l’exemple de ce qui s’était déjà passé dans dix-sept d’entre eux. Or ces nouvelles lois ne font pas que réduire le nombre des votants, elles donnent aussi le droit à leurs concepteurs de compter leurs voix, de disposer d’elles. Et par conséquent de choisir entre celles qui sont bonnes et celles qui ne le sont pas. Telles qu’elles sont, ces lois constituent déjà la plus grande menace pesant sur la démocratie américaine depuis la guerre civile. En elles-mêmes elles constituent une négation de ce qui fait que les Etats-Unis sont ce qu’ils sont. En son temps c’était l’esclavage qui était incompatible avec les valeurs et les idéaux sur lesquels ce pays s’est bâti. Maintenant ce sont ces lois scélérates qui conduiraient à la guerre civile si elles devaient se généraliser, si même elles n’étaient pas abrogées par l’adoption d’une loi fédérale supérieure à laquelle il faudrait les conformer. Bien qu’il n’ait pas parlé dans ce style explicite, le président américain probablement n’en renierait pas le fond.